dimanche 23 août 2020

Lecture d'été 2020 - 4 : L'Eglise dans l'Etat, de Catherine Maire


Catherine MAIRE, L’Eglise dans l’Etat. Politique et religion dans la France des Lumières, Gallimard, NRF, Paris 2019, 501 pages.

 

En France, dans le contexte actuel, la tendance sur le débat de la place respective de l’Etat et de l’Eglise est le plus souvent pris par son point d’arrivée, la loi de 1905, faisant suite au Concordat et à la Constitution Civile du Clergé. Un des grands mérites de Catherine Maire est d’offrir une vision des racines de ce débat dans le temps long du XVIIIème siècle. On se rend compte à la lire que rien n’est plus faux que d’imaginer une religion catholique intrinsèquement liée à une monarchie absolue et à l’abri des querelles du temps. Au contraire, les discussions sur la place qu’elle doit occuper reviennent régulièrement, depuis la querelle janséniste jusqu’à la place des ordres religieux dans la société, en passant par l’état civil des protestants. L’auteur nous présente ces querelles une par une, en faisant suivre chacune d’entre elle par une analyse de ce qu’en pense un des grands philosophes des Lumières. Disons-le tout de go, malgré des efforts louables, la lecture n’est pas toujours aisée à cause des concepts évoqués et de l’érudition sans faille de l’auteur. On peut s’y perdre un peu, et c’est parfois même ce qui arrive à l’auteur, lorsqu’elle présente tel ouvrage de Montesquieu sans jamais donner sa date exacte de publication. La richesse des thématiques abordées justifie cependant l’effort de lecture nécessaire.

Le premier débat, et au fond, il n’a jamais été clos durant la période évoquée, est celui du jansénisme. La volonté royale d’unité religieuse du royaume se heurte ici à un groupe indiscutablement catholique et très bien représenté chez les parlementaires. Le nœud du problème se trouve dans la déclaration royale de 1730, qui fait de la bulle Unigenitus, condamnant le jansénisme, une « loi de l’Eglise et de l’Etat ». Les parlementaires entretiennent alors une véritable guérilla au nom du gallicanisme, se faisant de meilleurs défenseurs de ce principe que le roi lui-même. Pour justifier le calme qu’il estime souhaitable, l’abbé de Saint-Pierre prône le silence et place le bien terrestre au-dessus des querelles théologiques. Eglise et Etat doivent collaborer pour atteindre le bonheur ici-bas.

Les rapports entre l’Eglise et l’Etat sont ensuite au centre d’un débat créé un nouvel impôt, le vingtième, en 1749, devant initialement peser sur l’ensemble des richesses du royaume, biens du clergé inclus. A une conception qui défend les notions de bien commun et d’utilité sociale, le haut clergé répond par une prétention à une légitimité supérieure à celle de la monarchie, du fait de son ancienneté. Le haut clergé, soutenu par les mises à l’index pontifical des opinions divergentes des siennes, prétend donc former un corps à part dans la société. Voltaire répond à cette prétention en affirmant l’unicité de l’autorité dans la personne du roi, face au fanatisme et à ce qu’il considère être un abus de pouvoir des ecclésiastiques, qui utilisent des armes spirituelles dans un débat temporel.

La querelle janséniste rebondit avec le refus des derniers sacrements à ceux qui refusent de reconnaître la bulle Unigenitus. Dans un monde où la valeur de ces rituels a une importance sociale, la chose ne passe pas. Les parlementaires argumentent que cela crée un schisme et place l’autorité de l’Etat au-dessous de celle des religieux. Les évêques répondent en invoquant l’ingérence étatique dans leur domaine. Le roi est très hésitant, exilant momentanément les parlementaires pour finir par déclarer lors d’un lit de justice en 1756 que la bulle Unigenitus cesse d’être une loi de l’Etat. Le résultat le plus clair est que la désacralisation de la monarchie se fait en son propre sein. Montesquieu, sans doute sollicité par le gouvernement pour calmer les esprits, émet l’idée qu’il faut absolument séparer le religieux du politique en rappelant leur but commun : le maintien de la paix dans le monde.

La confusion des ordres, religieux et politique, produit ses effets les plus visiblement néfastes à propos des protestants, chez qui les mariages ne sont pas reconnus puisqu’ils n’existent officiellement plus en France depuis 1685. L’impossibilité du sacrement religieux pour eux amène à s’interroger sur la nature du mariage. Le jeune Portalis explique qu’il repose d’abord sur le consentement des époux, et que l’Etat n’a pas à voir dans son aspect religieux. Il subordonne totalement le religieux au politique. Le débat n’est tranché que très tardivement, par l’édit de 1787, inspiré par Malesherbes, qui n’accorde a minima qu’une reconnaissance limitée à un état civil à ceux « qui ne sont pas catholiques ». Les évêques protestent d’ailleurs contre cette situation, qui les amène à unir administrativement des gens qui ne sont pas catholiques. D’un point de vue intellectuel, c’est à l’occasion de ce débat, dans les années 1760, que Rousseau en est venu à préciser ses conceptions, souhaitant une religion civile qui ne fasse qu’un avec l’Etat.

Les années 1760 sont également celles où l’on discute beaucoup d’un ordre religieux, celui des jésuites, perçus par les parlementaires comme une menace envers l’ordre politique en France du fait de leurs vœux. En même temps, des plaintes concernant des affaires sur les religieux les amènent à intervenir dans un domaine qui n’est en principe pas le leur. On apprend ainsi que les Mauristes de Saint-Germain-des-Prés ont lancé une procédure en 1765 pour avoir du gras et changer l’heure des matines. Des jésuites, finalement interdits en 1764, le débat rebondit donc sur l’utilité sociale des ordres monastiques, et partant, de l’ensemble des religieux. La liberté individuelle devient un argument des défenseurs des ordres, sous l’angle du choix des moines. C’est l’époque où le baron d’Holbach écrit ses ouvrages, indiquant que c’est au prince d’établir les mœurs et donc la morale d’où doit découler la religion, une religion acceptée dont les ministres sont élus par leurs fidèles. C’est une religion naturelle, qui prône la meilleure existence terrestre possible, et qui se doit donc d’être socialement utile.

La Constitution civile du Clergé a voulu clore ces débats par la prestation du serment et la suppression des ordres monastiques. Elle n’a fait que les relancer, et ils ont duré jusqu’en 1905. On l’a compris, sur un sujet complexe, Catherine Maire a produit un ouvrage qui donne à réfléchir et qui permet, au moins, d’enlever quelques œillères que l’on peut avoir lorsqu’on aborde ce thème qui reste d’actualité.


Jean-Philippe Coullomb

mercredi 12 août 2020

On nous signale


Notre collègue Franck DORY nous signale la publication des actes des rencontres romanes Saint-André. Il participera à leur présentation le 29 août prochain. Les renseignements sont sur le document visuel qu'il nous a fourni. Ce seront des fins de vacances apprenantes pour tous les passionnés d'art roman.



lundi 10 août 2020

Lecture d'été 2020 - 3 : Les Maquisards, par Fabrice Grenard


Fabrice GRENARD, Les Maquisards. Combattre dans la France occupée, Editions Vendémiaire, Paris 2019, 614 pages.

 

S’il est un sujet obscurci par une mythologie à la fois héroïque et dramatique, c’est bien celui des maquis en France pendant la Seconde Guerre mondiale. A la seule évocation de leur nom, on a immédiatement des images en tête, et on croit connaître le sujet. Déjà auteur de plusieurs ouvrages sur ce thème, dont une biographie de Georges Guingouin par exemple, Fabrice Grenard nous montre qu’il n’en est rien au moyen d’une synthèse facile d’accès et abondamment nourrie des nombreux mémoires produits par les acteurs de ces événements, mais aussi par les rapports trouvés dans des archives désormais bien ouvertes.

Popularisé par Mérimée à propos de la Corse au XIXème siècle, le mot est repris pour désigner, dès leur apparition, les premiers regroupements de réfractaires refusant d’aller travailler en Allemagne lors de la Seconde Guerre mondiale. Ces regroupements s’observent dès la fin de 1942 et le début de 1943, avec le refus d’une loi sur les réquisitions possibles d’ouvriers qualifiés. La loi créant le STO (16/02/1943) vient amplifier le mouvement et on y trouve de 10 à 15.000 hommes au printemps 1943. C’est la radio suisse qui en fait alors un mythe en inventant des combats en Haute-Savoie à l’artillerie entre ces réfractaires et les forces de l’Axe. Cela pousse les résistants à les prendre en compte, malgré bien des réticences initiales, et donc à les encadrer dans la mesure du possible. Ce sont eux qui leur donnent un fonctionnement militarisé, dans l’AS comme chez les FTP.

Celui-ci reste cependant bien loin de l’idéal qu’il prétend atteindre, et pour une raison toute simple : les moyens frisent l’infime, et les problèmes vitaux monopolisent le quotidien de jeunes citadins perdus dans des zones rurales isolées, avec d’abord l’alimentation. Le vol des institutions vichystes, surtout des Chantiers de Jeunesse, s’avère une nécessité pour obtenir des vêtements adaptés au milieu montagnard (entre 500 et 1.500 m d’altitude). La population se méfie parfois de groupes qui semblent plus marginaux qu’autre chose.

Dans ce contexte, l’hiver 1943-1944 reste un moment difficile pour beaucoup de maquisards, où le découragement gagne alors que des hésitations se font jour sur la stratégie à adopter. Les rares concentrations militarisées qui perdurent, comme celle des Glières, sont la cible d’une répression devenue très brutale, sous la conduite de Darnand et des Allemands suite au décret pris par le général Sperrle le 3/02/44, institutionnalisant le principe des exécutions sommaires et des représailles sur les populations environnantes. Après la mort de son chef charismatique, Tom Morel, le maquis se disperse ainsi après un premier accrochage sérieux, et c’est à ce moment-là qu’il subit des pertes sévères.

Le moral remonte au printemps 1944, et l’annonce du débarquement de Normandie produit parfois une véritable « levée en masse » en miniature, provoquant une augmentation des effectifs jusqu’à peut-être 100.000 hommes, désormais étalée au grand jour. Les gendarmes rallient les maquis. Les parachutages d’armes et de munitions deviennent plus importants, et des équipes de commandos ou des agents de renseignement des services alliés sont expédiés pour les encadrer. Des poches du territoire sont libérées plus ou moins momentanément, tant par des éléments de l’AS que des FTP. La plus célèbre est celle du Vercors, emblème des drames de cette période. Les Allemands appliquent alors les méthodes qui sont les leurs depuis longtemps déjà dans les Balkans et en URSS : exécutions, massacres et déportations. Ils ne peuvent cependant éviter l’évacuation du territoire français sous la pression des troupes alliées partout victorieuses. C’est le moment où les maquisards passent à l’action et se retrouvent en situation de libérer des pans entiers du territoire, surtout dans le Sud-Ouest, et d’obtenir parfois la reddition des troupes d’occupation, le plus souvent formées d’éléments non combattants, comme la colonne Elster. A leur corps défendant, les maquisards sont alors intégrés dans la 1ère Armée française et se retrouvent engagés dans des opérations classiques. 20.000 d’entre eux trouvent ainsi la mort dans la dernière année de guerre.

La conclusion de l’ouvrage en est peut-être le point le plus intéressant car elle évoque le devenir des maquisards après la guerre. Les lauriers de la victoire finale ont finalement été bien maigres pour les participants : rares ont été les carrières politiques ou militaires réussies par la suite. Dès 1944, de Gaulle n’a pas voulu donner le premier rôle à des gens suspects pour leurs supposées affinités communistes, mouvement que la Guerre Froide a encore amplifié. De son côté, le PCF s’est toujours lourdement méfié des chefs maquisards, trop suspects d’indépendance face à sa ligne politique, à l’image d’un Georges Guingouin, exclu du PCF en 1952. Les autres grands oubliés ont été les agents alliés, simplement coupables de ne pas avoir été Français, tel cet officier du SOE, responsable des maquis girondins, à qui de Gaulle donne deux jours pour quitter la France dès l’été 1944 ! C’est pourtant à un devoir de résistance que nombre d’entre eux ont consacré beaucoup de temps jusqu’à leur disparition.

Rendre justice aux hommes n’est donc pas synonyme de se laisser bercer de mythes, et ce que réussit fort bien Fabrice Grenard dans son livre.


Jean-Philippe Coullomb