samedi 19 décembre 2020

Le nouveau Napoléon III, par Jean Sagnes et Christina Egli

 


Les éditions Du Mont, à Cazouls-lès-Béziers, éditent habituellement Monsieur Jean Sagnes, ancien président de l’université de Perpignan. Ici, le spécialiste de l’histoire politique contemporaine s’est associé à Christina Egli, la conservatrice du château d’Arenenberg en Suisse ; en tout voici la dernière biographie du dernier empereur des Français.

La première partie, due à M. Sagnes, n’est pas une vita exhaustive, par un historien militant du genre biographique, mais plutôt une suite de regards nouveaux et surprenants, sur un personnage qu’on croit bien connaître. M. Sagnes explique que contre toute attente, c’est l’histoire du mouvement ouvrier qui l’a d’abord mené jusqu’à Napoléon III. Celui-ci avait droit à sa notice dans le Maitron, le dictionnaire du mouvement ouvrier français. M. Sagnes avait constaté avec étonnement que la résistance au coup d’état du 2 décembre 1851, dans l’Hérault notamment, n’émanait pas des socialistes, mais des radicaux et des républicains modérés. Comme si les socialistes avaient reconnu en Bonaparte l’un des leurs. L’historien libéral Guizot s’était exclamé le 2 décembre : « C’est le triomphe définitif et complet du socialisme ! » ce que Karl Marx n’avait pas démenti dans son livre sur la question, pas plus d’ailleurs que Proudhon.

La première partie est consacrée au quatrième livre de L.-N. Bonaparte, publié en 1844, « L’extinction du paupérisme », un véritable manifeste socialiste dont M. Sagnes rappelle qu’il a été le premier éditeur critique, en 2006. Bonaparte se rattache alors au courant saint-simonien du socialisme français. Pour eux, il est essentiel d’améliorer la condition ouvrière et paysanne. Aussi, dès 1832, il est partisan du suffrage universel, et ne changera pas d’avis.

Ensuite, M. Sagnes analyse les discours du prince-candidat, puis du prince-président de la deuxième République (1848). Il y retrouve le fil conducteur du saint-simonisme, avec toujours la condition des classes défavorisées en ligne de mire. Les chapitres suivants sont consacrés à son action au service des paysans, et M. Sagnes termine avec l’exemple de sa politique dans l’Hérault. Ce département, très hostile à Napoléon III lors du coup d’état, est l’objet de sa sollicitude ; il n’est pas rancunier et impulse, là aussi, le développement des chemins de fer, qui entrainera le boom de la vigne exportée. Le traité de libre-échange avec l’Angleterre est signé par un économiste saint-simonien, le sénateur Michel Chevalier, qui organise l’exposition universelle, et en même temps est le président du conseil général de l’Hérault.

Dans la seconde partie de l’ouvrage, Christina Egli dévoile une partie encore plus mal connue du personnage : sa jeunesse et sa formation, en exil en Suisse. Louis-Napoléon a ainsi comme précepteur Philippe Le Bas, le fils d’un ancien conventionnel jacobin, ami de Robespierre. Un autre est un polytechnicien d’origine suisse, spécialiste de l’artillerie, Dufour. Cette partie se compose d’une très riche iconographie, inédite, issue des collections du château d’Arenenberg, qui illustre toute la vie de la famille impériale, depuis la jeunesse de Louis-Napoléon jusqu’à la fin tragique de son fils unique.

L’ouvrage est à commander aux éditions Du Mont, 2 rue Augereau, 34370 Cazouls-les-Béziers.

editionsdumont@wanadoo.fr

 

François Waag

 

 

lundi 14 décembre 2020

Les membres de la régionale écrivent

 La régionale Languedoc-Roussillon peut s'enorgueillir de compter des collègues qui fournissent régulièrement des contributions au national.

Richard Vassakos vient ainsi de réaliser une interview Fatima Besnaci-Lancou, auteure d'un ouvrage sur les harkis au camp de Rivesaltes, disponible sur le site national ici :

 Harkis au camp de Rivesaltes. La relégation des familles. Septembre 1962-décembre 1964 (Editions Loubatières, 2019) - Association des Professeurs d'Histoire et de Géographie (aphg.fr)

La lecture de cette interview fait ressortir tout l'intérêt de cet ouvrage, qui permet de déconstruire des légendes tout en faisant apparaître les limites d'un accueil qui se fit dans l'urgence.

 

Jean-Marc Capdet vient de fournir un article sur les "clusters" dans le dernier numéro d'Historiens et Géographes.

Bravo et merci à eux pour la qualité de leur travail !

 

 

dimanche 13 décembre 2020

Lecture au coin du feu : Jean-Paul Demoule, Aux origines, l'archéologie

 


Jean-Paul DEMOULE, Aux origines, l’archéologie. Une science au cœur des grands débats de notre temps, La Découverte, Paris 2020, 334 pages.

 

Ancien président de l’Inrap, Jean-Paul Demoule est connu pour ses nombreux ouvrages, notamment sur les découvertes archéologiques réalisées récemment. Ecrits dans un langage simple et clair, ils rendent accessibles à tout un chacun nombre de connaissances remettant en cause nos idées sur les périodes passées depuis le néolithique. Nous retrouvons ici ses qualités dans un livre à la fois engagé et argumenté sur notre monde et sur la place que l’archéologie y tient. Engagé, il l’est à deux titres : l’auteur ne cache nullement ses sympathies et ses antipathies idéologiques, et il prend la défense de cette discipline qu’il a tant illustrée, alors même qu’elle heurte bien souvent des intérêts économiques par les retards et les coûts qu’elle induit sur les chantiers.

Si on peut donc parfaitement ne pas partager tous les points de vue exprimés par J.-P. Demoule, le croisement de ces deux engagements apporte effectivement des éclairages instructifs. Il s’en prend ainsi à l’instrumentalisation de l’Histoire et de l’archéologie à des fins politiques, en particulier durant la présidence de Nicolas Sarkozy, pour relever à quel point les élus de la majorité d’alors, toujours prompts à défendre une vision très identitaire de l’histoire du pays, ont toujours été les premiers à demander une révision à la baisse des interventions des archéologues, considérant qu’ils limitaient par trop la liberté d’aménager et de gagner de l’argent. C’est sous Jacques Chirac que fut votée une loi permettant la création d’un secteur commercial dans l’archéologie, sur le modèle anglo-saxon. Facilité par le dogme libéral défendu dans les instances européennes, cela a abouti à avoir des entreprises surtout soucieuses de rentabilité, qu’elles n’atteignent qu’en proposant aux aménageurs une pratique superficielle et peu efficace de leur discipline. Demoule donne l’exemple du chantier du canal Seine - Nord - Europe : là où les méthodes de ces structures privées n’ont révélé que deux sites à explorer, la méthode par tranchée, utilisée par l’Inrap, a permis d’en trouver douze. On imagine les destructions cautionnées par ce type de méthode « scientifique » utilisant uniquement des technologies modernes ! Incapables de repérer des marques légères telles que des traces de poteaux de bois, l’auteur suggère même qu’elles sont à l’origine de la faiblesse des découvertes outre-Manche. Amenant à un éclatement complet des circuits de la recherche, avec des méthodes incohérentes et l’absence de publication des résultats, elles se montrent néfastes à tous, hormis aux comptes en banque de leurs actionnaires.

La dernière partie du livre montre alors toutes les difficultés qu’il y a en France à obtenir une reconnaissance réelle du rôle et de l’importance de l’archéologie. Marquées par le mythe des origines gréco-romaines de notre univers culturel, les élites françaises n’ont jamais vu l’intérêt de la plupart des fouilles réalisées sur notre sol. L’auteur ne dit pas, mais c’est sans doute aussi vrai, que l’accent mis sur le latin et la culture purement livresque ont longtemps rabaissé l’archéologie au rang d’une modeste « science auxiliaire », y compris pour les historiens de métier. L’Inrap reste donc une structure récente, apparue seulement en 2001, et qui s’est immédiatement heurtée à des intérêts économiques puissants. Des deux ministères qui en ont la tutelle, celui de la Culture et celui de la Recherche, le second ne s’en est absolument jamais préoccupé, allant jusqu’à nier l’aspect scientifique de l’archéologie, au prétexte qu’elle n’emploie que 10 % de docteurs. Il ne l’a jamais financée. Dans ces conditions, les rapports de la Cour des Comptes ou de l’Inspection Générale des Finances, toujours critiques envers la dépense du moindre argent public et vantant la soi-disant meilleure gestion par le privé, n’ont pu que multiplier les reproches envers l’Inrap, sans apporter le moindre début de solution. La présidence de Hollande fut celle des rapports, toujours édulcorés et s’enchaînant de façon à  repousser l’obligation de régler ce problème, tandis que l’archéologie fut toujours la première victime des « chocs de simplification »  et autres suppression de « petites taxes ». La loi de 2016, qui est issue de cette situation, n’entérine donc qu’un seul progrès réel : la propriété publique des découvertes sur un terrain donné, et encore uniquement à partir du moment où il change de propriétaire.

Cet ensemble pourrait sembler bien décourageant, mais l’auteur finit sur une note optimiste : les phases de très fortes inégalités, comme celle que nous connaissons, finissent toujours par se terminer, comme le montre une archéologie qui passionne les Français. Tôt ou tard, la demande sociale ne pourra pas être ignorée.

 

Jean-Philippe Coullomb