Jean-Clément
MARTIN, Robespierre,
la fabrication d’un monstre,
Perrin, Paris 2016, 367 pages.
Après
ses synthèses difficilement lisibles sur la Révolution,
on avait quelque raison de craindre le pire en voyant un ouvrage
signé par Jean-Clément Martin sur un de ses grands
acteurs. Disons-le tout de go, on avait tort. L’auteur a
retrouvé la méthode qui avait fait son succès
dans l’étude de la révolte vendéenne :
il est parti du présent pour déconstruire un mythe et
montrer la part de contingence qui existe dans un destin resté
célèbre pour de mauvaises raisons. C’est ce
qu’indique le sous-titre de son ouvrage même si le choix
de rédaction a ensuite été celui d’une
biographie classique.
L’auteur
a le mérite de nous éviter un de ces portraits
psychologiques mal assurés dans lequel on voit surtout le
reflet des angoisses de notre temps et nous découvrons le
parcours d’un jeune bourgeois à talent d’Arras,
guère différent de celui de beaucoup d’autres en
France à la même époque. Capable d’ironie,
sa notoriété locale lui vient surtout de la qualité
littéraire de ses plaidoiries. Il profite du doublement du
Tiers pour se faire élire aux états généraux
au printemps 1789. S’il participe aux événements
de l’été 1789, il reste à l’écart
des différents comités qui par exemple proposent un
redécoupage du pays, mais il commence vraiment à faire
parler de lui à l’automne à propos des débats
sur la future constitution. D’évidence peu sensible à
la question de l’égalité politique pour les
femmes comme à celle de l’esclavage, il se drape dans
une posture faite de discours comme le montre bien sa formule
préférée « Il faut établir le
principe que », tout en dénonçant le pouvoir
exécutif et de multiples complots depuis sa position de
président des jacobins. Hostile au maintien du roi après
la fuite de Varennes, il fait cependant allégeance à la
nouvelle constitution.
Ses
positions sont par la suite fluctuantes et pas toujours évidentes
à suivre, car la tactique politique impose ses règles.
Pour la guerre en novembre 1791, il s’affirme contre un mois
plus tard. Refusant de se dire républicain car les Brissotins
le font, il demande la déchéance du roi en juillet
1792. Contre la peine de mort pour les membres de la Nation saine, il
justifie les massacres de septembre et il compte des amis parmi les
gens impliqués dans ce carnage. Elu à la Convention par
les Parisiens sur lesquels il a incontestablement de l’influence,
il appelle fin mai 1793 à l’extermination de tous les
ennemis du peuple. Après l’élimination des
Girondins, il entre au Comité de Salut Public en juillet 1793
tout en s’alliant tactiquement avec les hébertistes et
la Commune de Paris.
Il
utilise dès lors son pouvoir, qui n’est jamais total,
pour tenter d’arriver à une situation d’équilibre.
Il se retourne donc contre les hébertistes et rejette la
déchristianisation complète voulue alors par Fouché
par exemple, avant de cibler Danton et les « Indulgents ».
Pour mieux contrôler la situation, il renforce la
centralisation et laisse Carnot réorganiser l’armée
même s’il s’en méfie. Se faisant, il
multiplie ses ennemis sur tous les bords et il a la maladresse de
beaucoup menacer en employant des formules comme « les
hommes coupables craignent toujours de voir tomber leurs
semblables ». Les conventionnels choisissent alors de se
débarrasser de lui.
Ce
faisant, les thermidoriens créent le personnage du monstre
sanguinaire pour mieux s’en démarquer par une politique
différente. C’est à ce moment-là, le 18
thermidor, donc a posteriori, que la loi entérine la formule
« la Terreur est à l’ordre du jour »
pour sa période de gouvernement. Robespierre quitte le monde
des humains pour entrer dans celui des héros d’un
romantisme noir et devenir l’archétype du chef
révolutionnaire, qu’on l’adule ou qu’on le
déteste.
Cet
ouvrage est donc un bel ouvrage, qui donne à voir un homme en
son temps et qui nous fait réfléchir sur les découpages
et les étiquetages de cette historiographie classique qui
constitue toujours notre base de réflexion intellectuelle et
pédagogique. Une franche réussite, donc.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire