Michel BIARD, Missionnaires
de la République, Vendémiaire, Paris 2015, 480 pages.
Première synthèse sur son
thème, les représentants du peuple en mission sous la Révolution, cet ouvrage a
aussi la caractéristique d’être la réédition d’une thèse publiée en 2002 par le
CTHS. On y trouvera donc un travail précis, fouillé, accompagné de cartes et de
graphiques en annexe, où les noms des représentants se succèdent comme ceux des
armées ou des départements auxquels ils étaient envoyés. A ce titre, l’absence
d’un index est fort regrettable. L’ouvrage reste cependant lisible, l’auteur
n’étant fort heureusement pas dépourvu d’humour. On sent d’ailleurs chez lui un
réel attachement à l’humanité de personnages placés dans des situations
extraordinaires.
Cela étant dit, que
peut-on en retenir ? D’abord, leur création est rendue nécessaire par la
disparition des personnages qui servaient de rouage entre le pouvoir central et
le pays, c’est-à-dire des intendants, dans un cadre mental où les députés
représentants du peuple français en majesté ne sauraient voir dans leurs
attributions la défense de territoires particuliers. L’ouvrage de Michel Biard
permet d’ailleurs d’apprécier la qualité intellectuelle des débats qui
accompagnent cette création. Si les premières missions apparaissent dès 1790,
leur systématisation date du décret du 9 mars 1793 avec comme mission première de
travailler à la levée des 300.000 hommes décrétée le mois précédent. Elles se
succèdent dès lors jusqu’en octobre 1795, qu’elles concernent les armées ou les
départements, avec des fluctuations dans le temps et l’espace que l’auteur
analyse en détail. En tout, la moitié des députés ont été concernés au moins
une fois, même si de véritables spécialistes ressortent plus que d’autres. Leur
homogénéité politique n’a jamais été totale, mais ils sont très largement
dominés par la Montagne de leur création jusqu’en thermidor. Les missions
confiées ont été variables, tantôt précises et limitées dans leur objet, tantôt
plus générales, mais généralement avec un effort pour faire coïncider les compétences
supposées avec la tâche précise à effectuer. Beaucoup de documents évoquent la
masse de travail réalisée dans des conditions difficiles, avec des cas de
surmenage évident et parfois la mort pour le service de la République d’hommes
qui ont souvent été sensibles aux difficultés concrètes des gens qu’ils ont pu
rencontrer.
Dans ces conditions,
comment expliquer l’image très négative qu’ils ont pu laisser à la
postérité ? D’abord, dès leur apparition, des députés girondins les
qualifient, et ce n’est pas flatteur, de « proconsuls ». Ensuite,
quelques uns d’entre eux se signalent par leur violence exacerbée, à l’image de
Carrier. Surtout, et de façon plus générale, une ambiguïté apparaît avec
eux : ils ne sont pas fonctionnaires et ils ont tendance à dépasser les
bornes théoriques de leur pouvoir, tantôt sous le poids des circonstances politiques
et militaires, tantôt sous l’influence des conseillers locaux, souvent issus
des sociétés populaires, qu’ils se choisissent pour les seconder dans leur
tâche. Leur titre et l’origine de leur pouvoir leur permet en effet de
court-circuiter toutes les administrations habituelles alors même que rien ne
permet de régler les éventuels conflits de compétences entre eux. Ils
participent ainsi de la désorganisation qui préside aux opérations militaires
en Vendée, tandis que personne n’ose contredire un Saint-Just lorsqu’il lance
des attaques sans espoir en Belgique. Certains traînent des pieds tant qu’ils
le peuvent pour retarder le moment du retour à Paris, qui s’apparente parfois à
une sanction. Après thermidor, les dénonciations pleuvent, s’attaquant à leurs
turpitudes sexuelles supposées et les comparant à des satrapes orientaux. Ils
deviennent ainsi les symboles de tous les excès et de tous les errements d’une
période où l’on tente parfois de faire correspondre la réalité à des discours
d’une grandiloquence meurtrière, ce que traduit leur légende noire jusqu’à
aujourd’hui.
S’ils ont bien participé
de l’invention de la politique moderne, comme le dit l’auteur, on ne peut que
rajouter que ce fut souvent en analysant les problèmes qu’ils ont pu poser.
Jean-Philippe Coullomb
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