vendredi 28 avril 2017

Michel BIARD, Missionnaires de la République, Vendémiaire, Paris 2015, 480 pages.



Michel BIARD, Missionnaires de la République, Vendémiaire, Paris 2015, 480 pages.



Première synthèse sur son thème, les représentants du peuple en mission sous la Révolution, cet ouvrage a aussi la caractéristique d’être la réédition d’une thèse publiée en 2002 par le CTHS. On y trouvera donc un travail précis, fouillé, accompagné de cartes et de graphiques en annexe, où les noms des représentants se succèdent comme ceux des armées ou des départements auxquels ils étaient envoyés. A ce titre, l’absence d’un index est fort regrettable. L’ouvrage reste cependant lisible, l’auteur n’étant fort heureusement pas dépourvu d’humour. On sent d’ailleurs chez lui un réel attachement à l’humanité de personnages placés dans des situations extraordinaires.
Cela étant dit, que peut-on en retenir ? D’abord, leur création est rendue nécessaire par la disparition des personnages qui servaient de rouage entre le pouvoir central et le pays, c’est-à-dire des intendants, dans un cadre mental où les députés représentants du peuple français en majesté ne sauraient voir dans leurs attributions la défense de territoires particuliers. L’ouvrage de Michel Biard permet d’ailleurs d’apprécier la qualité intellectuelle des débats qui accompagnent cette création. Si les premières missions apparaissent dès 1790, leur systématisation date du décret du 9 mars 1793 avec comme mission première de travailler à la levée des 300.000 hommes décrétée le mois précédent. Elles se succèdent dès lors jusqu’en octobre 1795, qu’elles concernent les armées ou les départements, avec des fluctuations dans le temps et l’espace que l’auteur analyse en détail. En tout, la moitié des députés ont été concernés au moins une fois, même si de véritables spécialistes ressortent plus que d’autres. Leur homogénéité politique n’a jamais été totale, mais ils sont très largement dominés par la Montagne de leur création jusqu’en thermidor. Les missions confiées ont été variables, tantôt précises et limitées dans leur objet, tantôt plus générales, mais généralement avec un effort pour faire coïncider les compétences supposées avec la tâche précise à effectuer. Beaucoup de documents évoquent la masse de travail réalisée dans des conditions difficiles, avec des cas de surmenage évident et parfois la mort pour le service de la République d’hommes qui ont souvent été sensibles aux difficultés concrètes des gens qu’ils ont pu rencontrer.

Dans ces conditions, comment expliquer l’image très négative qu’ils ont pu laisser à la postérité ? D’abord, dès leur apparition, des députés girondins les qualifient, et ce n’est pas flatteur, de « proconsuls ». Ensuite, quelques uns d’entre eux se signalent par leur violence exacerbée, à l’image de Carrier. Surtout, et de façon plus générale, une ambiguïté apparaît avec eux : ils ne sont pas fonctionnaires et ils ont tendance à dépasser les bornes théoriques de leur pouvoir, tantôt sous le poids des circonstances politiques et militaires, tantôt sous l’influence des conseillers locaux, souvent issus des sociétés populaires, qu’ils se choisissent pour les seconder dans leur tâche. Leur titre et l’origine de leur pouvoir leur permet en effet de court-circuiter toutes les administrations habituelles alors même que rien ne permet de régler les éventuels conflits de compétences entre eux. Ils participent ainsi de la désorganisation qui préside aux opérations militaires en Vendée, tandis que personne n’ose contredire un Saint-Just lorsqu’il lance des attaques sans espoir en Belgique. Certains traînent des pieds tant qu’ils le peuvent pour retarder le moment du retour à Paris, qui s’apparente parfois à une sanction. Après thermidor, les dénonciations pleuvent, s’attaquant à leurs turpitudes sexuelles supposées et les comparant à des satrapes orientaux. Ils deviennent ainsi les symboles de tous les excès et de tous les errements d’une période où l’on tente parfois de faire correspondre la réalité à des discours d’une grandiloquence meurtrière, ce que traduit leur légende noire jusqu’à aujourd’hui.

S’ils ont bien participé de l’invention de la politique moderne, comme le dit l’auteur, on ne peut que rajouter que ce fut souvent en analysant les problèmes qu’ils ont pu poser.

Jean-Philippe Coullomb

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