mardi 13 août 2019

Lecture d'été - 2019 (4) : Propagande, la manipulation de masse dans le monde contemporain, de David COLON






David COLON, Propagande, la manipulation de masse dans le monde contemporain, Belin, Paris 2019, 431 pages.

 

Les auteurs sont-ils toujours consultés lorsque leur éditeur doit faire le choix d’un visuel pour une couverture ? A lire cet ouvrage, on serait tenté de répondre par la négative. En effet, celle-ci reprend une image de type mussolinien, avec le mot « Propagande » en blanc qui se détache dessus, renvoyant à l’assimilation habituelle entre régimes totalitaires et propagande. Or David Colon explique dès son introduction que c’est un réflexe issu d’un contexte de guerre froide dans les années 1970. Son objet est à la fois plus large et plus actuel : il veut présenter ce qu’est la manipulation des esprits dans le monde d’aujourd’hui. On est donc dans un ouvrage d’actualité qui utilise largement des travaux de spécialistes variés s’appuyant sur des exemples allant du XXème siècle jusqu’à nos jours. Il part des premiers experts en communication de masse, définissant un  cadre intellectuel,  puis il s’attache aux usages variés de cette propagande, avant de suivre par une série de courts chapitres souvent centrés sur un medium particulier, puis de terminer sur les questions liées à Internet et son usage. Disons-le tout de suite, l’ensemble donne parfois la sensation de survoler chacun des nombreux thèmes abordés, et la mesure des effets n’est que très brièvement évoquée en conclusion. La multiplication des domaines étudiés, des références et des exemples peut finir par produire un effet anxiogène car elle place l’individu au milieu d’un maelström de manipulations contradictoires. La bataille pour « le temps de cerveau disponible », le notre, fait décidément rage. Et à vrai dire, on se demande parfois s’il en vaut la peine.

Que peut-on retenir malgré tout de cet ouvrage ? D’abord, le lien très fort entre la communication, l’étude des comportements humains et la publicité, qui apparaît aux Etats-Unis dès les premières années du XXème siècle. On apprend ainsi que Microsoft constitue le deuxième plus important employeur d’anthropologues aux Etats-Unis derrière le gouvernement fédéral, tandis que l’industrie du tabac a fait preuve d’une réelle expertise pour vendre ses productions en parant leur consommation du goût de la liberté. C’est la Première Guerre Mondiale qui voit la création d’une propagande politique de masse, et si les belligérants démobilisent leurs armées une fois la paix revenue, ils gardent les services créés à cette occasion (pensons au Service Cinématographique et Photographique des Armées créé en 1915 dans le cas français, par exemple). Si la Deuxième Guerre Mondiale reste une référence pour les manœuvres d’intoxication de l’adversaire comme l’opération Fortitude pour préparer le débarquement allié en Normandie, la Guerre froide est un moment essentiel car le contrôle des populations était au fond l’enjeu essentiel de la lutte. C’est le KGB qui est à l’origine de la légende selon laquelle le SIDA viendrait d’un laboratoire américain d’armes biologiques, tandis que la CIA a soutenu l’art abstrait pour lutter contre le réalisme socialiste. Et bien sûr l’usine à rêves hollywoodienne a constamment promu l’American Way of Life. On apprend incidemment (en tout cas l’auteur de ces lignes) que la célèbre affiche consacrée à la Révolution Nationale avec une maison France en ruine et une autre redressée par la politique du maréchal Pétain n’a jamais été diffusée car rappelant trop les dissensions politiques.

C’est finalement la dernière partie, consacrée à la « post-vérité » qui reste la plus intéressante, même si elle n’apporte pas de grande révélation.  Elle néglige aussi le fait que tout un chacun peut devenir très consciemment le propagandiste zélé de telle ou telle cause. Elle part de Marc Bloch, qui observait que les rumeurs n’avaient prise que sur des esprits prêts à les croire. Dans ce cadre, la force des théories du complot est d’offrir une clé de compréhension du monde à un public qui n’en a aucune avec l’effondrement des grands récits religieux et nationaux. Cette clé se transforme ensuite en outil de mobilisation pour une jeunesse en manque de repères, nourrie d’une méfiance systématique envers toute parole sensée et argumentée. On sourit en lisant que certains sites et mouvements djihadistes condamnent le complotisme car il aboutit à nier l’efficacité de Ben Laden. On visite les « fermes à trolls » russes ou chinoises qui inondent les réseaux sociaux occidentaux de messages russophiles ou sinophiles. Enfin, cette partie pose la question de l’usage que chacun fait d’Internet : c’est d’abord et avant tout un moyen d’afficher ce que l’on est et ce que l’on pense en croyant que cela peut avoir un effet. Et en faisant ceci, on ne fait surtout que donner des renseignements sur soi-même. Loin de pouvoir influencer la marche du monde, nos posts et nos publications ne servent qu’à donner des armes à ceux qui souhaitent nous utiliser.

Sans révolutionner la pensée contemporaine, l’ouvrage de D. Colon offre donc quelques pistes de réflexion que d’autres lectures permettront de creuser.

Jean-Philippe Coullomb

 

 



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