samedi 21 mars 2020

Compte-rendu du café-Histoire sur le manuel et ses usages en Histoire-Géographie




Lien vers la vidéo de la soirée, avec quelques soucis techniques (dont nous nous excusons platement) :






COMPTE-RENDU DU CAFE – HISTOIRE APHG LR « Le manuel scolaire en histoire-géographie », Gazette Café Montpellier, le 29 février 2020.


 


Conférenciers : Sébastien Cote, Philippe Guizard, Pierre Boutan, Vivien Chabanne.


OBJET :


  • Rendre compte de l’expérience de rédaction d’un manuel scolaire en histoire et en géographie et en saisir les contraintes officielles et pratiques.
  • Présenter les usages pédagogiques du manuel scolaire : apprentissages, contraintes, limites.


 


Le café – histoire sur le manuel scolaire a eu lieu au Gazette café de Montpellier, le 29 février 2020 de 18H à 19H30. Il a été organisé par la régionale de l’APHG Languedoc-Roussillon, et plus particulièrement par deux enseignants d’histoire-géographie, Dalila CHALABI et Stéphane DUPONT. Le premier conférencier invité est Sébastien Cote, professeur agrégé en classe préparatoire au lycée Joffre à Montpellier et directeur de collection de manuels scolaires aux éditions Nathan. Philippe Guizard, IA-IPR d’histoire-géographie, ainsi que Vivien Chabanne, professeur d’histoire-géographie et auteur de manuels scolaires aux éditions Nathan se sont également exprimés sur le sujet. Le dernier conférencier, Pierre Boutan, maître de conférences en sciences du langage à la faculté d’Education de l’université de Montpellier et président de l’association des Amis de la mémoire pédagogique, nous a fait l’honneur de présenter son expertise quant à l’histoire des manuels scolaires.


PLAN :


  1. Le manuel scolaire, un objet construit
     
  2. Usages en classe et paradoxes multiples


 


 


  1. Le manuel scolaire, un objet construit


Sébastien Cote :


En tant que directeur de collection de manuels scolaires (Edition Nathan).


  • Des attentes très fortes de la société :
    En effet, il souligne la fréquence des polémiques sur le manuel scolaire, accusé d’être le reflet d’un roman national, d’être axé sur la repentance, et au service de groupes de pression, de lobbies. D’autres polémiques sur l’écriture inclusive, par exemple, ont vu le jour.
     
  • Des attentes fortes de l’Education nationale :
    En effet, notre institution peut avoir un discours hostile envers l’usage des manuels scolaires, non indispensables pour la construction des cours. Mais lors d’un changement de programme d’enseignement, celle-ci se tourne vers les éditeurs pour concevoir dans des délais très réduits des manuels scolaires.
     
  • Des attentes de la société :
    Sébastien Cote précise la montée des groupes de pression de mémoire, liés à des Etats, des ambassades, des associations.
     
  • Une confusion très fréquente entre manuels scolaires et programmes scolaires :
     Le manuel scolaire est un outil pédagogique au service des enseignants pour la mise en œuvre d’un programme scolaire que le concepteur de manuel n’écrit pas. La première règle est de respecter le programme qui émane du Ministère de l’Education nationale.
  • Une confusion entre le manuel scolaire et le cours de l’enseignant :
     L’enseignant « picore » dans le manuel scolaire, il exploite certains documents, une problématique proposée. Donc, il est important de ne pas confondre le cours de l’enseignant et le contenu du manuel scolaire.
     
  • L’écriture d’un manuel scolaire :
     


  1. Un manuel est une entreprise collective, qui s’appuie sur un programme officiel directif qui impose, par exemple pour le lycée, les thèmes, les objectifs de chaque thème, des points de passage et d’ouverture obligatoires, ce qui représente une très forte contrainte. Le manuel scolaire met l’accent sur les renouvellements historiographiques car l’Histoire scolaire ne doit pas être déconnectée de l’Histoire universitaire. C’est un enjeu fondamental de connaissances. Une véritable équipe avec un directeur de collection, des auteurs choisis sur des critères d’excellence académique, d’excellence pédagogique, d’investissement dans la formation, à tous les niveaux, du collège à l’université. C’est aussi une équipe éditoriale coordonnée par l’éditeur, qui a pour mission de « fabriquer le livre », imposant par exemple aux auteurs un nombre de signes maximal. Les maquettistes ont pour mission de « mettre en musique » l’ouvrage sous forme d’une maquette car le livre doit être attrayant, l’iconographie doit être visible. L’équipe numérique propose une déclinaison numérique du manuel scolaire avec des ressources vidéo, audio, des podcasts, en veillant au lien avec la version papier. Le rôle de l’iconographe est de rechercher les images, en veillant au respect des droits d’auteur, une image qui doit être en haute définition. Donc, l’iconographe est en relation avec les bibliothèques, des musées, des archivistes, des banques d’images. La cartographie dans un manuel scolaire est fondamentale, et est gérée par des professionnels. Le manuel est conçu entre le mois de février et de mars pour être proposé aux professeurs au mois de mai.


 


  1. La question de l’historiographie. Le manuel scolaire n’est pas le lieu du débat historiographique, de la controverse historiographique. Le manuel scolaire s’adresse aux élèves même s’il est choisi par les enseignants. Donc, pour accéder à la controverse historiographique, l’élève doit être réellement outillé. Mais le manuel est le lieu qui permet d’instiller un renouvellement de la science historique. Par exemple, l’histoire des femmes était absente des manuels scolaires jusqu’aux années 1980. Lorsque Georges Duby ou Michelle Perrot ont développé l’histoire des femmes, progressivement les manuels scolaires ont intégré cette histoire. L’histoire de la colonisation vue par les colonisés est assez récente, et trouve sa place actuellement dans les manuels scolaires. Plus récemment, l’histoire environnementale, qui n’existait pas dans les années 1970-1980, est dynamique dans les manuels scolaires comme l’étude de la mondialisation des épidémies suite à la conquête de l’Amérique par les Espagnols et par les Portugais.
  2. L’objectif principal d’un manuel scolaire est de faire saisir à un élève la démarche historique, c’est-à-dire travailler à partir d’une source, la confronter à d’autres sources pour construire un discours. L’histoire est une démarche d’investigation à travers différents types d’exercices. Par exemple, aux éditions Nathan, les pages « Passé, Présent » sont dédiées à la compréhension des enjeux de l’Histoire, le dialogue entre le passé et le présent est primordial. Il s’agit, à partir d’un problème présent, de comprendre sa construction en étudiant le passé, de faire comprendre des mécanismes. C'est cela à quoi sert l’Histoire.


Vivien Chabanne :


  • Retour d’expérience sur le rôle d’auteur de manuels scolaires sur les nouveaux programmes de Première. Être auteur, c’est faire de nombreux compromis, autour de quatre éléments majeurs : le respect des programmes officiels, la transmission des derniers acquis de la recherche, la dimension pédagogique et didactique, les contraintes éditoriales.
  • Les principales étapes d’élaboration d’un chapitre :


  1. Un travail d’équipe
  2. Un temps de travail individuel
  3. De nombreux regards croisés


  1. Décider de la maquette et des approches didactiques et pédagogiques. Organisation des chapitres de manière collégiale. Deux acteurs essentiels : le directeur de collection et les éditeurs.
  2. Sujet à traiter individuellement, un sujet dont l’auteur n’est pas forcément spécialiste. De nombreuses recherches sont nécessaires dans les archives, dans les musées. L’objectif est de trouver de beaux documents, notamment le musée d’art et d’histoire de St Denis qui propose de nombreuses archives sur les questions au programme comme la IIIème République, et des liens vers les archives de la BNF disponibles en ligne. La principale difficulté est de rendre tangible aux élèves une situation historique complexe en utilisant le vocabulaire approprié. Les enjeux sont historiques mais aussi citoyens selon les sujets abordés comme la guerre d’Algérie.
  3. Discussions et relectures multiples par l’ensemble des acteurs, notamment le directeur de collection, les éditeurs et l’iconographe. Être auteur de manuels scolaires c’est « l’art de faire des compromis », c’est aussi de réfléchir à des contenus numériques. Un manuel scolaire sert à « faire de l’histoire ». Dans les éditions Nathan, des pages sont consacrées à « De la source à l’histoire » et « D’hier à aujourd’hui », qui donnent sens, dans la manière dont on construit l’histoire, au récit historique, comment une question historique du passé peut faire écho dans le présent. On le voit par exemple avec le thème de la IIIème République, sur la question de la place des femmes en politique. Les critiques par l’opinion publique sont faites sur les sujets traités et non sur la manière dont ceux-ci sont traités. La densité des programmes actuels est une contrainte pour les auteurs car leur liberté de traiter un sujet s’en trouve limitée, et également pour les enseignants, qui faute de temps, ne pourront pas se les approprier. Le plus important est d’entraîner les élèves à une démarche, une méthode.
     


  1. Usages en classe et paradoxes multiples


 


Philippe Guizard :


 


  • Du point de vue pédagogique :
     La façon dont le manuel scolaire est utilisé dans les classes pose un certain nombre de problèmes et de difficultés. Mais globalement, en France, les manuels scolaires sont de très bonne qualité, de beaux outils, de beaux objets faits avec rigueur, très agréables à regarder et à lire. Les manuels scolaires sont des objets pédagogiques mais aussi des objets commerciaux dont l’objectif est de dégager du profit. En France, depuis Jules Ferry, il n’y a pas de contrôle officiel sur les manuels scolaires, ceux-ci sont écrits librement et à charge aux professeurs de choisir le manuel scolaire en fonction de sa qualité.
     
  • De nombreuses difficultés constatées :
     


  1. Pour de nombreux enseignants, le manuel « c’est le programme », or ce n’est pas le programme. Avant de commencer la construction d’un cours, les enseignants croisent plusieurs manuels, donc le manuel a tendance à jouer le rôle du programme, ce qui représente une réelle difficulté.
  2. Le manuel a une fonction, en termes de pédagogie, assez normative. Les professeurs ont tendance à s’en inspirer beaucoup, plus qu’une véritable lecture des programmes officiels. Par exemple, depuis les années 1980 – 1990, dans les manuels scolaires, est apparue l’idée qu’il fallait que les enseignants d’histoire-géographie utilisent beaucoup les documents. A l’heure actuelle, le document, dans les manuels scolaires, est proposé accompagné de questions, qui invitent généralement à un prélèvement d’informations. Or, cela ne doit pas être l’unique activité à demander aux élèves, car c’est une activité de basse intensité intellectuelle. Ce qui est intéressant c’est de confronter des documents, de dégager des arguments, de construire des réponses organisées. Pour les manuels scolaires, il est très difficile de sortir de cette logique, ils continuent de proposer de nombreux documents avec des questions.
     
     
  3. Le manuel scolaire a une vision maximaliste du programme. Tout le programme est abordé de façon assez large. Or, ce qui est demandé par l’inspection, découlant des programmes, est de choisir dans le programme les éléments permettant de construire un projet. Par exemple, les nouveaux programmes de lycée proposent pour chaque chapitre des points de passage et d’ouverture obligatoires mais chaque enseignant les traite différemment, parfois en introduction, en conclusion, ou en guise d’illustration tout au long du chapitre. Pour la classe de Première, un chapitre porte sur les grandes phases de la Première Guerre mondiale, 4 points de passage et d’ouverture sont proposés. Dans les manuels scolaires, il est hors de question de faire l’impasse sur l’un de ces points. Or, l’inspection pédagogique invite l’enseignant, à partir de son projet pédagogique, à faire des choix quant à la durée proposée à l’étude de chaque point de passage et d’ouverture. L’enseignant est donc mis en tension entre la lecture globale proposée par le manuel et la course contre le temps.
  4. La question de l’innovation pédagogique. Les manuels scolaires restent trop conformes aux pratiques usuelles en classe, et ne proposent que très peu d’innovation pédagogique.
  5. Un usage très réduit des manuels scolaires dans les pratiques de classe. Ceci est la résultante d’un choix précipité du manuel scolaire par l’équipe disciplinaire. C’est l’attrait esthétique du manuel qui l’emporte dans le choix du manuel et non l’intérêt historique des documents. L’usage qui est fait du manuel est la copie de certaines pages.


 


  1. Pour que le manuel soit un outil réellement exploité par les enseignants, il faudrait que d’un point de vue culturel, le manuel scolaire cesse d’être un prescripteur pour les enseignants mais soit pensé comme un outil au service du professeur. « Le professeur est un concepteur et non un exécutant ». Il faudrait faire travailler les élèves sur le manuel scolaire, en utilisant le glossaire, en leur demandant de faire des recherches à partir des cartes proposées dans le manuel. L’enseignant doit apprendre aux élèves à exploiter le manuel scolaire.
     
    Pierre Boutan :
    Il évoque l’histoire des manuels scolaires en insistant sur le fait qu’il est nécessaire de prendre un recul dans l’histoire, voir comment fonctionnaient les manuels scolaires qui évoluent aujourd’hui en raison de l’entrée du numérique. Les manuels officiels en France n’existent plus. Le manuel permet d’évoquer le savoir savant, le rapport avec le savoir scolaire et le savoir enseigné. Une tentative de rédiger un manuel commun à l’espace méditerranéen a permis d’en réaliser un mais à destination des enseignants.


 


 


Conclusion :


Le manuel scolaire est un outil pédagogique complexe, source de nombreuses polémiques autour de son intérêt et de sa plus-value auprès des élèves. Il est un objet construit, réfléchi grâce au travail intensif d’une équipe éditoriale qui s’attache à respecter les programmes officiels d’enseignement. Un usage plus pertinent du manuel scolaire en tant qu’objet pour une analyse croisée des documents, un recul par rapport à une situation historique ou géographique, permettrait aux élèves de l’exploiter réellement et d’être davantage acteurs de leurs apprentissages.


 


 


Dalila CHALABI, référente APHG - LR

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