mardi 27 mars 2018

Compte-rendu de conférence : les "pieds-rouges" 



La régionale de l'APHG est heureuse de publier le compte-rendu d'une conférence tenue, à l'invitation de notre collègue Laurent Soria, devant les élèves de CPGE du lycée Henri IV de Béziers par Mme Catherine Simon, ancien grand reporter au journal Le Monde, sur les "pieds-rouges". Il a été rédigé par deux élèves, Perrine Le Balch et Gaspard David. Nous ne pouvons que les féliciter pour la qualité de leur texte, réalisé alors que leur charge de travail est déjà fort lourde.








La conférence organisée pour les élèves de la CPGE Henri IV Béziers qui s’est déroulée le 9 décembre 2017 leur a permis de rencontrer Catherine Simon, auteure de Algérie, les années pieds rouges. Cette dernière est intervenue afin de présenter l’histoire souvent méconnue de ceux que l’on a appelé les « pieds rouges », ces Français qui sont restés après l’indépendance de l’Algérie pour aider à la reconstruction du pays.




Catherine Simon est partie du constat qu'après la fin de la guerre, l'histoire commune entre l'Algérie et la France semble être tombée dans l'oubli. Effectivement, comme elle le souligne, un grand silence des deux côtés fait suite aux Accords d’Evian. Selon elle, côté français, c’est le silence de la défaite et de l’arrogance. Les grands partis politiques, y compris la gauche de Mitterrand et le parti communiste, avaient voté les pouvoirs spéciaux en 56, et s'attendaient à la victoire française. La seule véritable opposition à la guerre est venue des « porteurs de valises », dont certains sont plus tard devenus des « pieds rouges ». Certains éléments de l’histoire comme ceux-ci permettent de refuser une approche manichéenne de ce conflit, à la fois guerre et guerre civile : des journalistes, des artistes, des prêtres, des militants catholiques, qui sont devenus complices du Front de libération nationale (FLN). Le fameux réseau Jeanson, se chargera ainsi, pendant pratiquement toute la guerre, de collecter et de transporter des fonds et des faux-papiers pour les membres du FLN de métropole. Ce groupuscule sera finalement démantelé en février 1960 : six Algériens et dix-huit Français, défendus par le jeune avocat Roland Dumas, sont alors inculpés et condamnés. Quinze d’entre eux sont condamnés à dix ans de prison, trois à cinq ans et huit mois, et neuf sont acquittés. Francis Jeanson, quant à lui, sera condamné à dix ans de prison, puis amnistié en 1966. Des intellectuels de gauche apporteront par le « Manifeste des 121 » un soutien à ces « porteurs de valises ».




Ensuite, alors que les « pieds-noirs » rentraient en France dans la précipitation, les « pieds-rouges » arrivèrent sur la terre algérienne pour participer à la Révolution, au rêve algérien. C'était un ensemble assez hétéroclite de personnes : des militants humanitaires, des professionnels de la santé, d’anciens « porteurs de valises », des enseignants et même des étudiants, ayant tout quitté pour rejoindre le peuple algérien. La plupart des Algériens les accueillirent à bras ouverts au début.
Mais suite à trois ans de période de grâce, beaucoup sont rentrés en France à cause du coup d’Etat du 19 juin 1965 du colonel Houari Boumediene. La répression du mouvement kabyle et le code de la nationalité, qui liait la religion à la citoyenneté, ont dissuadé beaucoup de « pieds-rouges » de rester. De surcroît, « les socialistes en peau de lapin », comme les appelle Boumediene, ne sont clairement plus les bienvenus.



La démarche de Catherine Simon a été de recueillir les témoignages de ces « pieds rouges ». Elle a donc parcouru la France pour en rencontrer une centaine et réaliser environ 80 interviews. L’auteure insiste bien sur le fait que c’est un travail de journaliste et non pas d’historien, malgré la recherche importante qu'elle a réalisé afin que les faits soient sourcés et les témoignages vérifiés.



Parmi ces personnes, Catherine Simon a choisi de présenter quelques histoires individuelles :

Annette Roger Beaumanoir, par exemple, née en 1923 en Bretagne, résistante au sein des Jeunesses communistes à 18 ans, elle sert d’intermédiaire pour passer le courrier aux membres de son réseau, et elle devient médecin spécialiste de neuro-physiologie après la guerre. Puis elle quitte le PCF en 1956 et entre dans le réseau Jeanson en 1957. Elle est arrêtée en 1959 mais s’évade pour Tunis (condamnée par contumace à 10 ans de prison). Là, elle remplace Franz Fanon à l’hôpital de Tunis, se consacrant aux soins des soldats traumatisés de l’ALN dans les camps de Tunisie ; en 1962, elle accepte de travailler pour le Ministère de la Santé algérien. Elle a également organisé, grâce aux accords de coopération signés entre la France et l’Algérie, la venue en Algérie de médecins cubains ou bulgares, puis a quitté l’Algérie pour la Suisse après le coup d’Etat de Boumédienne en 1965.

Jean Michel Arnold, un autre « pied-rouge » dont l'auteure fait le portrait dans son livre, a lui été à l'origine, avec Ahmed Hocine et Mohamed Sadek Moussaoui, de la création de la cinémathèque d'Alger en 1964. René Vautier et lui ont participé à la diffusion de la culture cinématographique dans les campagnes algériennes avec les cinépops, des fourgonnettes qui sillonnaient le pays pour organiser des projections en plein air dans les villages. Dans les grandes villes, de nombreux cinéastes sont venus, dont Joseph von Sternberg, Luchino Visconti, Youssef Chahine, Joseph Losey, Sembène Ousmane, Jean-Luc Godard, Alberto Lattuada, Claude Chabrol… Il organise dans ce cadre, le Congrès mondial des documentaristes et les Rencontres des cinémas du Monde pour le premier Festival culturel panafricain en 1969.

Plus largement, les « pieds-rouges » ont contribué au rétablissement du pays, où l'analphabétisme était très important et où toute l'administration étaient auparavant gérée par les pieds-noirs ou les métropolitains. Ils ont permis la formation de médecins, infirmiers ou professeurs algériens.

Globalement, explique Catherine Simon, les « pieds-rouges » ont été très bien accueillis en Algérie. Le pays était dévasté et ces gens apportaient quelque chose. Ils donnaient un espoir d’éducation. Les villages se disputaient les instituteurs, les infirmiers, afin de pouvoir se développer. La population algérienne, en dehors de l’armée, n’avait pas un fort ressentiment envers les Français. Les « pieds rouges » furent étonnés par la gentillesse des Algériens. En revanche, il y avait une certaine méconnaissance de la part des « pieds-rouges » sur ce qu'était réellement l'Algérie. Ils pensaient que tous les Algériens étaient comme ceux qu’ils avaient côtoyés en France, libres de parole, bon vivants. Or, dans les grandes villes, ils ont été confrontés aux différences d'attitude entre progressistes et conservateurs.

La fin de cette vague d’enthousiasme, la désillusion sur le sort de la révolution algérienne et le retrait progressif des « pieds-rouges » arriva avec l'arrivée de Boumédienne et des militaires au pouvoir. Malgré cela, souligne Mme Simon, des liens forts ont perduré entre les « pieds-rouges » et les Algériens pendant des années.

Une certaine nostalgie subsiste parmi les survivants ainsi qu’un sentiment de désabusement devant la mémoire tronquée dont les commémorations des deux côtés de la Méditerranée témoignent encore aujourd’hui : « Nous aussi, nous sommes les cocus de l’histoire. Pas de manière aussi dramatique que les pieds-noirs ou les Harkis mais quand même un peu », a déclaré Jean-Marie Boëglin, un ancien « pied-rouge » de 85 ans à un journal français en 2012, à propos des cérémonies du cinquantenaire de l’Indépendance à Alger.




En conclusion, on ne peut que remercier l'auteure d'être venue jusqu'à Béziers présenter, à l'invitation de M. Soria, professeur d'Histoire en CPGE, un pan méconnu de l'histoire de l'indépendance de l'Algérie, et surtout une leçon d'humanisme et d'entraide entre des peuples que tout séparait.







vendredi 9 mars 2018

A VOS AGENDAS!
L'APHG Languedoc-Roussillon organise le 28 mars près de Béziers une conférence avec Vincent Duclert, LE spécialiste incontesté de l'affaire Dreyfus.
Elle est bien sûr ouverte à tous, enseignants comme non-enseignants.