jeudi 30 juillet 2020

Lecture d'été 2020 - 2 : La conférence de Wannsee, par Peter Longerich



Peter LONGERICH, La Conférence de Wannsee. Le crime à l’échelle industrielle, Editions Héloïse d’Ormesson, Paris 2019, 233 pages.


Spécialiste reconnu de l’Allemagne nazie et auteur de plusieurs biographies de poids sur les hauts personnages du régime hitlérien, et d’abord sur le Führer lui-même, Longerich attaque ici la question controversée de la conférence de Wannsee, à laquelle on n’accorde généralement plus la même importance qu’il y a quelques années. En s’appuyant sur une étude précise des sources, et notamment du seul exemplaire retrouvé du Protocole de la conférence, et sur sa connaissance ultra détaillée des hommes et des événements à ce moment-là de la guerre, il en présente un tableau digne d’intérêt. Alors que tous les éléments du génocide des juifs sont déjà en place à une échelle relativement réduite (déportations, massacres de masse, usage des gaz par exemple), quelle place accorder à cette célèbre réunion du 20 janvier 1942 ? D’abord, elle correspond à la volonté personnelle de celui qui la préside, Heydrich. Il envoie les invitations le 29/11/41 à des représentants des administrations centrales du Reich, des autorités civiles dans les territoires conquis à l’Est, et de hauts gradés de la SS, en évitant soigneusement les gens trop proches de Himmler. Il s’agit pour lui d’asseoir son autorité sur tous les acteurs impliqués dans le traitement de la « question juive », en évoquant un plan d’ensemble de son cru qu’il appelle « Solution finale » par opposition à toutes les solutions partielles ou localisées qui ont déjà pu avoir lieu à ce moment-là. Il s’agit de déporter vers les marches de l’Est conquises par la Wehrmacht, une fois la guerre terminée, pas moins de onze millions de juifs européens (y compris depuis l’Angleterre ou l’Espagne par exemple) pour les y exterminer par une combinaison de travail forcé, de massacres et de mauvaises conditions de vie. C’est à la fin de la conférence que le représentant de Frank, le gouverneur de la Pologne, intervient pour faire acter la nécessité de commencer ce plan par la Pologne et en évitant des déplacements rendus difficiles à envisager du fait de la situation militaire. C’est l’origine de l’utilisation systématique des camps d’extermination. C’est Himmler qui ajoute ensuite, en plein accord avec Heydrich quelques semaines avant que ce dernier soit éliminé par des résistants tchèques, le principe d’une utilisation à but économique des détenus jusqu’à leur destruction. La conférence a donc finalement été un moment-clé du passage d’une logique de déportation-extermination après guerre à une logique de destruction-exploitation immédiate en faveur de l’effort de guerre, logique qui ne pouvait avoir dans l’esprit de Himmler que l’avantage de souder les assassins et donc toute l’Allemagne dans une politique inouïe. Si on se doute que cette interprétation n’épuisera pas le sujet, on ne peut qu’y trouver une démonstration de plus, s’il était nécessaire, de l’invraisemblable chaos bureaucratique que fut l’Allemagne nazie, chaque organisation et chaque chef cherchant à tirer la couverture à lui en se réclamant d’un Führer trop content de pouvoir jouer les uns contre les autres dans un processus conduisant à une radicalisation cumulative servant ses idées les plus criminelles.

Jean-Philippe Coullomb

samedi 18 juillet 2020

Lecture d'été 2020 - 1 : Johann Chapoutot, Libres d'obéir






Johann CHAPOUTOT, Libres d’obéir. Le management, du nazisme à aujourd’hui, Gallimard, NRF Essais, Paris 2020, 171 pages.

 

     Que voilà un petit livre qui fait débat. Tout ami un peu libéral refusera d’aller plus loin que le titre, vous renvoyant à la figure les morts, innombrables, du communisme réel. Comment imaginer un lien entre une technique d’entreprise, libérale par nature, avec le régime nazi, tout autant naturellement totalitaire ? Un journaliste de Charlie Hebdo, contredit par un de ses collègues la semaine suivante, l’a repris : Chapoutot atteindrait le point de Godwin. Faisons justement l’effort de ne pas nous arrêter au titre et de lire ce petit ouvrage pour nous faire une idée plus précise de son contenu. Johann Chapoutot est tout sauf un inconnu : ses nombreux ouvrages sur le nazisme font autorité par sa capacité à pénétrer la pensée des nazis, telle qu’elle s’exprimait dans les livres ou les revues savantes avant d’être vulgarisée au cinéma. Observons que son propos est d’abord déformé par le titre. Chapoutot écrit page 17 : « Il ne s’agit pas de dire que le management a des origines nazies _ c’est faux, il lui préexiste de quelques décennies _ ni qu’il est une activité criminelle par essence ». Par contre, il s’avère un moyen de pénétrer et d’analyser ce que les nazis ont dans la tête, car leurs spécialistes de la question ont écrit sur ce sujet. Le cas de Reinhard Höhn, général SS puis grand manitou du management en RFA pendant des décennies, lui sert de fil conducteur, et son parcours illustre bien le passage d’idées et de pratiques de l’Allemagne nazie au monde actuel.

     La première remarque a un côté surprenant, et pourtant elle est logique du point de vue nazi tout en ayant de lourdes implications sur le sujet : il s’agit de la détestation fondamentale de l’Etat et de ses administrations. Il est vu comme un moyen transitoire pour atteindre une fin, la domination raciale et éternelle des Aryens dans leur vaste biotope, le lebensraum, exactement comme la diplomatie classique interétatique ne peut que fournir des habillages momentanés préparant ou masquant la victoire biologique. A ce compte-là, l’administration n’est que transitoire, et doit se préparer à vivre dans le cadre d’une baisse constante de ses moyens. Pour rester efficace, il lui faut donc se réinventer : c’est le principe de la subsidiarité, de l’autonomie pourvu que le résultat global soit atteint. Cette vision et ce passage sont pensés par Höhn, notamment, qui exprime dès 1934 cette idée que la vérité ne se trouve pas dans l’Etat, mais dans le nazisme. Protecteur des faibles, l’Etat n’a été qu’une nécessité momentanée pour les Allemands, leur apportant une discipline de fer pour mieux les protéger de leurs puissants voisins, mais au prix de l’étouffement de leurs libertés ancestrales et de leur esprit de communauté, de leur esprit tribal faudrait-il dire. Le nazisme se donne pour but de leur rendre cet esprit.

     Ancien juriste préféré d’Himmler et de Heydrich, passionné d’histoire militaire, Höhn survit à la guerre sans prendre la peine de se cacher, et avec l’aide d’anciens SS, il crée en 1956 une académie de management à Bad Harzburg. Elle reçoit jusqu’à  sa mort en 2000 quelques 600.000 cadres de grandes entreprises (dont Aldi), de l’administration et de l’armée, tandis que Höhn multiplie les ouvrages didactiques, qui servent de base managériale dans toutes les grandes entreprises du « miracle allemand ». Ses méthodes, responsabilisation assortie d’une surveillance étroite des subordonnés, et culte de la « communauté » productive sans différence de classe, sont toujours là, simplement débarrassées de leurs oripeaux antisémites. Et au fond, quoi de mieux pour faire dépérir l’idée d’Etat que d’enseigner les mêmes méthodes à ses cadres qu’à ceux du privé ? Son école, elle, accueille parmi son personnel tel professeur de marketing qui est un ancien chef d’einsatzkommando. La polémique qui a suivi les révélations sur son passé en 1971, et l’arrivée de méthodes managériales différentes, venues notamment des USA, ont réduit son audience sans la supprimer.

     Si le nazisme n’a pas inventé le management, il s’en est servi avant de lui transmettre une partie de ce qu’il était. Enfant de la modernité au profit d’un projet archaïque, le régime nazi a été le laboratoire d’un fonctionnement où l’homme n’était vu que comme une ressource parmi d’autres, à manipuler et à utiliser. Les techniques sont-elles toujours innocentes ? C’est l’autre question que l’auteur laisse volontairement en suspens mais à laquelle chacun pourra répondre en fonction de sa sensibilité.


Jean-Philippe Coullomb


 

    

    

    

    

Jean-Philippe Coullomb



vendredi 10 juillet 2020

Quand on a un GRAND président…



C'est de Richard Vassakos, celui de notre APHG-LR, dont il est question, évidemment. Qui aurait pu émettre une autre hypothèse, d'ailleurs ?
Il vient de signer une tribune dans le quotidien Le Monde : https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/07/05/les-denominations-et-les-statues-n-ont-jamais-ete-aussi-politiques-qu-aujourd-hui_6045245_3232.html
Il faut reconnaître que ce n'est pas donné à toutes les associations. Bravo à lui pour son texte (partiellement accessible seulement car placé, du fait de sa qualité, en zone abonné) !

vendredi 3 juillet 2020

BONNES VACANCES !!!



L'APHG-LR souhaite d'excellentes vacances à tous les collègues, après une année dont l'étrangeté restera dans toutes les mémoires. Seront-elles "apprenantes" ? Avant que l'Education Nationale n'invente la formule, les enseignants d'HG ont toujours eu l'oeil en éveil, en pensant à leur métier et à leur plaisir, car la culture historique et géographique est un plaisir, devant tout ce qui peut y faire écho. Alors, n'oubliez pas de vous reposer et de vous changer les idées !


Bonnes vacances à toutes et à tous !