mercredi 30 août 2023

Café virtuel en Histoire ancienne le 12 septembre

 L'APHG-LR est heureuse d'annoncer le lancement de sa nouvelle saison de cafés virtuels le 12 septembre prochain autour de Jérôme Kennedy, auteur d'Une res publica impériale en mutation.



dimanche 20 août 2023

Lecture d'été 2023 - 4 : Juifs et capitalisme, par Francesca Trivellato

 

Francesca TRIVELLATO, Juifs et capitalisme. Aux origines d’une légende, Seuil, Collection l’Univers Historique, Paris 2023, 425 pages.


 

Il peut arriver que l’édition historique fonctionne comme les informations sur Internet : un titre tapageur permet d’attirer le chaland, pour un contenu qui s’avère finalement bien en-deçà de ce que l’on pourrait attendre, quand il n’est pas franchement anodin. C’est un peu la sensation que l’on a ici. Pour cette deuxième traduction de son ouvrage, l’auteure s’en explique d’ailleurs, et on ne lui en tiendra pas rigueur, mais on le signalera à tout autre lecteur potentiel. On signalera de la même façon que les notes infrapaginales, prolixes, occupent près de cent pages, soit le quart du volume. On peut même en trouver qui se renvoient les unes aux autres. Celui qui veut les éviter gagnera du temps, disons-le. Par-delà ces questions formelles, reprenons le thème réel de ce livre : la légende des origines juives de la lettre de change et de l’assurance maritime.

F. Trivellato la trouve dans deux ouvrages, aujourd’hui bien oubliés, mais qui ont eu en leur temps une diffusion conséquente. Le premier, Us et coustumes de la mer, d’un certain Etienne Cleirac, a été publié à Bordeaux en 1647, et il a constitué le premier manuel de droit maritime en français. Le second est Le Parfait négociant de Jacques Savary, publié à Marseille en 1675 et très souvent réédité au XVIIIème siècle. Pour eux, les lettres de change auraient été inventées par des juifs expulsés du royaume de France au Moyen-Age afin de transférer leurs biens dans d’autres pays. Ils auraient enseigné cette technique à des Italiens contraints de s’exiler à Amsterdam suite aux affrontements entre Guelfes et Gibelins. Les lettres de change en particulier, par leur brièveté et l’usage de termes techniques et de symboles spécifiques, ont ainsi été attribuées à des juifs, supposés détenteurs d’un savoir mystérieux qui leur permettait de tromper les bons chrétiens. L’invraisemblance de tels propos (le méli-mélo chronologique et spatial est évident) ne sert en fait qu’à la construction d’ouvrages qui prétendent promouvoir une vision positive et réglée du commerce, dans laquelle la figure du juif sert à désigner tout ce qui est négatif. Cleirac critique ainsi juifs et cahorsins comme ayant des pratiques condamnables. Savary insiste sur le côté immoral de certaines pratiques alors même que Colbert vient d’autoriser les nobles à s’impliquer dans le commerce international. Un penseur comme Montesquieu reprend ensuite le même discours, mais pour souligner l’intelligence économique d’un groupe culturel dont les pratiques ont pu contribuer à sortir l’Europe d’un Moyen-Age particulièrement sombre en développant le « doux commerce ». Cette légende devient ainsi progressivement un lieu commun au XIXème siècle, jusqu’à ce que Weber attribue les origines du capitalisme aux protestants, et que Marx abandonne tout lien entre judaïsme et capitalisme, l’un et l’autre partageant la vision sinistre de l’époque médiévale qui était celle de Montesquieu.

Si au passage, on glane bien des détails intéressants (ainsi d’Epernon, gouverneur de Guyenne, qui récupère les diamants transportés par une flotte portugaise perdue devant les côtes en 1627), on reste un peu sur sa faim pour le fond de l’ouvrage. F. Trivellato essaie à toute force de parler de l’usure et finit par des formulations pour le moins étranges (p. 198) sur la laïcité de la République, avant d’évoquer les difficultés actuelles de l’Histoire économique. Au fond, la question de l’origine des lettres de change illustre plus qu’elle n’explique la vision négative des juifs pour des questions d’argent. C’est la principale limite d’un ouvrage qui par ailleurs se laisse lire sans déplaisir.

 

Jean-Philippe Coullomb

mercredi 9 août 2023

Lecture d'été 2023 - 3 : Le Grand Récit chinois, par Victor Louzon

 

Victor LOUZON, Le Grand Récit chinois, l’invention d’un destin mondial, Tallandier, Paris 2023, 235 pages.


 

 



Voici un petit livre qui s’avère fort instructif. Son auteur, spécialiste de la guerre et de la violence politique dans le monde chinois, enseignant en Sorbonne, y présente une série de thèmes maintes fois ressassés présentant la Chine comme une grande puissance pacifique par  nature. D’une écriture alerte, intégrant des cartes et une fort utile chronologie de l’histoire chinoise, cet ouvrage s’avère salutaire devant ces billevesées venant de la propagande chinoise que nombre d’intellectuels ou de politiques français colportent avec complaisance, jusqu’à en faire des lieux communs de la pensée française et européenne sur l’Empire du Milieu. Le plan s’articule simplement, en neuf chapitres chronologiques correspondant à un de ces thèmes éminemment positif pour le régime de Pékin.

On les suit ainsi un par un, depuis le « rêve chinois » à prétention universelle mais qui n’est en fait un horizon que pour les Chinois eux-mêmes, jusqu’au mythe de la « province perdue », Taïwan, qui ne fut conquise qu’à la fin du XVIIème siècle et resta très longtemps marginale et très partiellement sinisée seulement. Elle ne l’a vraiment été que sous la dictature de Chiang, après 1949. Et accessoirement, cela s’est délité dès l’avènement de la démocratie à la fin des années 1980. La question de l’indépendance y est donc revenue avec force, et c’est bien Pékin qui en fait un élément de discours nationaliste à vocation d’abord interne. Les routes de la soie, elles, sont ramenées à de justes proportions par V. Louzon, qui rappelle que l’expression elle-même ne vient pas de Chine mais d’un géographe allemand en 1877. Si la Chine n’a pas eu de colonie extérieure, la présentation de son histoire sous l’angle de son unification dans un espace donné masque la part de guerres et de conquêtes violentes, suivies de statuts secondaires, qui a été nécessaire à la constitution de ce pays. Quant à la rhétorique de l’humiliation par les Occidentaux au XIXème siècle, sans mésestimer des réalités dures, elle est de toute évidence surjouée par les dirigeants d’un pays qui n’a en fait jamais été menacé d’un découpage total par les Européens, et qui s’est surtout effondré de lui-même en 1911. C’est d’ailleurs le moment où cette rhétorique apparaît, et avec là encore un usage interne : il s’agissait pour la république de critiquer la dernière dynastie, puis plus tard pour le PCC de fustiger ladite république. Au demeurant, la Chine recouvre sa pleine souveraineté douanière en 1929 et reçoit une place de membre permanent au Conseil de Sécurité de l’ONU dès 1945.

L’auteur conclut ce panorama en expliquant que finalement il n’y a pas UN grand récit chinois, mais une collection de thèmes assez plastiques qui offrent surtout aux pays du « Sud global » un récit différent de celui des Occidentaux, dans lequel il est loisible de piocher ce qui justifie toutes les ambitions du jour.

 

Jean-Philippe Coullomb