lundi 9 novembre 2015

La nouvelle chronique cinéma d'Albert Montagne


Réjane-Hamus-Vallée et Caroline Renouard (dir.), Les métiers du cinéma à l’ère du numérique, CinémAction n° 155, Ed. Corlet, juin 2014, 192 p., 24 euros.

Comme la révolution du parlant avait bouleversé le cinéma muet, celle du numérique a profondément transformé le cinéma, métamorphosant des pans entiers du Septième art qui n’a plus rien à voir avec celui d’à peine une décennie. Les métiers du cinéma à l'ère du numérique est logiquement préfacé par Frédérique Bredin, présidente du CNC, tant les enjeux sont considérables. A la fois technologiques, esthétiques, économiques, professionnels, ils remettent en question tous Les métiers du cinéma, de la télévision et de l'audiovisuel (titre éponyme d'un CinémAction dirigé par René Prédal en 1990). Cette révolution silencieuse et systémique oppose des métiers de continuité et de rupture. Le premier chapitre, Filmer sans film ou les métiers du tournage numérique, souligne la sempiternelle magie du cinéma. Le directeur de la photo (Bérénice Bonhomme), passant de la pellicule au numérique, doit maîtriser sa caméra, travailler de pair avec le fabricant (Sony, Red, Arri), changer ses usages (utilisation de la cellule, étalonnage, contrôle de l'image), innover, expérimenter, d'où un regain d'intérêt. L’acteur numérique (Jean-Baptiste Massuet) est un mutant à l’ère de la performance capture : ses muscles enregistrés simulent un autre que lui qui devient secondaire. Le cinéma devient théâtre numérique séparant plus que jamais acteurs et spectateurs, désintégrant les corps. Où est la performance ? Que devient l’acteur ? Les ouvriers du numérique ou machinistes (R. Hamus-Vallée) nécessitent un nouveau matériel aux incessantes actualisations et des mises à niveaux par des formations souvent peu réalisées et vécues comme une perte de temps et d’argent. La caméra HD, plus fragile, sensible et imprévisible, a un équipement lourd et complet, considérable et coûteux, pour parer à tout. On passe d’un 12 m3 à un 35 m3. A contrario, la présence humaine rétrécit. Pis, tous les 6 mois, une nouvelle caméra, plus performante et complexe, sort, entraînant une surenchère de technique et de stress qui s’accélèrent : l’investissement du côté des techniciens, les bénéfices de celui des producteurs, multipliant les sensations de déséquilibre. Les cinéastes Olivier Nakache et Eric Toledano, interrogés par C. Renouard, donnent un précieux témoignage sur cette mutation. Pour Intouchables (2011), ils ont d’abord cherché à trouver un équilibre entre les avantages et inconvénients des deux technologies. La solution, étonnante, est un panachage : numérique en caméra Alexa pour les scènes de nuit, argentique en caméra 35 mm pour les scènes de jour. Avec Samba (2014), le côté hybride est impossible et le numérique s’impose. Les deux cinéastes réalisent avec Ana Antune - leur directrice de post-production, un métier devenu primordial - qu’ils ont vécu la fin de l’argentique. Autres métiers : le stéréographe (Pascal Martin) qui apporte du relief au film, passant de la projection 2D à la 3Ds, le photographe de film (l’ancien photographe de plateau)(Virginie Villemin) et le problème sempiternel des droits d’auteur, le scripte face au numérique (Olivier Caïra). Le second chapitre, La post production numérique, éclaire des métiers toujours plus nombreux : ingénieur du son (Alexandra Tilman, Jocelyn Robert et Pierre Bariaud), directeur de post-production (Kristian Feigelson), monteur, chef et assistant (Sébastien Denis), superviseur d’effets visuels (VFX)(R. Hamus-Vallée et C. Renouard), étalonneur/coloriste (C. Renouard), animateur 2D/3D (Sébastien Denis), infographiste (Panagiotis Kyriakoulakos). Le troisième chapitre, Diffuser autrement, égraine des métiers différents. La vidéo à la demande en France (Jean-Yves Bloch et Marianne Bloch-Robin) bouleverse la distribution et génère des métiers à haute technologie : administrateurs de réseaux, programmateurs, intégrateurs, web-designers, ergonomes. Si le projectionniste (Yannick Pourpour) est un métier en récession, l’automatisation renforçant sa « présence fantôme », l’archiviste numérique (Frédéric Rolland) et le restaurateur numérique (Emilie Leroux) deviennent des métiers essentiels. La promotion des films (Florian Lapôtre et C. Renouard) crée des réseaux sociaux (Facebook, Twitter), des sites et blogs cinéphiles, vitrines à part entière de films, cinéastes, genres, revues. En 2006, pour la première fois, les dépenses brutes de publicité sur internet dépassent celles des radios et salles de cinéma, le net devenant le troisième média de promotion des films sortant, d’où des métiers numériques nouveaux : attaché de presse, conseiller et stratège, développeur, graphiste, et l’émergence de blogueurs notables, sites phares, administrateurs de pages. Le critique numérique (Gilles Lyon-Caen) apparaît même. Enfin, la formation aux métiers du numérique (Frédéric Tablet) devient un enjeu majeur des universités et grandes écoles de cinéma. Une sélection exhaustive de sites internet d'associations, organisations et institutions professionnelles de cinéma et de l'audiovisuel et un glossaire conséquent concluent l'ensemble. Puisse ce livre éveiller des vocations ! 
Albert Montagne

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