samedi 4 avril 2020

LECTURE DE CONFINEMENT - 1



En ces temps de confinement, le Français moyen n'a pas manqué de remarquer la programmation assez particulière du service public à la télévision. La période semble propice à une énième rediffusion de toutes les grosses farces, et en particulier celles se situant sous l'Occupation, depuis La Grande vadrouille jusqu'à Papy fait de la Résistance. Le président de la République a dit, quant à lui, qu'il faut profiter de cette étrange période pour lire. C'est l'occasion de redécouvrir un de ces livres, acheté il y a quelques années et oublié depuis sur un rayon de bibliothèque, dont on se dit qu'on le lira un jour, quand on n'aura rien de plus urgent à faire. Entre deux activités pour assurer notre si belle "continuité pédagogique", nous y sommes. Là, on se dit qu'au moins, on va sourire.




Rudolph HERZOG (trad. par R. Darquenne), Rire et résistance, humour sous le IIIème Reich, Michalon 2013 pour la traduction française, 300 pages.


 



Et bien, une fois lecture faite, amateurs d’histoires drôles, passez votre chemin ! Ce livre à l’écriture lourde et au ton le plus souvent moralisateur ne prête en effet guère à la gaudriole, malgré une couverture qui semble prometteuse (un chimpanzé portant un brassard à croix gammée faisant le salut nazi), sans que l’on sache s’il faille incriminer l’auteur ou le traducteur (peut-être les deux ?). Les références aux comiques allemands des années 1920 tomberont certainement à plat devant la plupart des lecteurs.
  L’intention de l’auteur se comprend en fait surtout dans une perspective allemande : il s’agit pour lui de montrer l’inanité de la formule, souvent employée après 1945, disant que les blagues valaient à ceux qui les répétaient brevet de résistance ou en tout cas de refus de l’ordre nazi. Il montre ainsi que beaucoup de blagues sur les dirigeants nazis, comme celles sur le goût des décorations de Goering, reprenaient celles qui avaient cours auparavant, par exemple sur Hindenburg, et n’étaient en fait pas sanctionnées car jugées peu dangereuses pour le régime. Au contraire, en insistant sur les défauts humains des dirigeants, elles contribuaient à leur normalisation et par extension à celle de tout le nazisme. L’humour fut ainsi globalement fort peu réprimé, à la différence de certains humoristes, surtout les juifs. L’auteur note aussi des variations dans le temps assez notables : à la relative tolérance des débuts succéda une période où l’expression devint plus difficile. La plupart des rares cas d’exécutions eurent ainsi surtout lieu dans la deuxième moitié de la guerre, à un moment où la moindre déviance était férocement combattue. Mais même dans ce cas, l’humour ne fut le plus souvent que le prétexte d’une condamnation à mort déjà prévisible pour l’accusé du fait de ses caractéristiques sociales. A l’inverse, bien des blagues prenaient pour cible les adversaires de l’Allemagne, comme la SDN. En fin de guerre, on assista au développement d’un humour noir et désabusé tant la défaite devenait une évidence. Dans ce contexte, la résistance par l’humour vint surtout de l’étranger, avec les films de Lubitsch ou de Chaplin.
Au final, le livre dépeint les Allemands comme un peuple de suiveurs, à la fois goguenards et résignés, et finalement toujours dociles. C'est curieux, on aurait pu avoir l'impression que ces qualificatifs convenaient d'abord aux Français...


 


Jean-Philippe Coullomb

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