jeudi 15 juillet 2021

Lecture d'été 2021 - 1 : Michel BIARD et Marisa LINTON, Terreur ! La Révolution française face à ses démons

 


 

Michel BIARD et Marisa LINTON, Terreur ! La Révolution française face à ses démons, Armand Colin, Paris 2020, 296 pages.

 

« De l’usage d’un mot en Révolution » : tel aurait pu être le sous-titre de cet ouvrage de taille modeste mais densément informé sur son sujet. La Terreur, avec un T majuscule, est une invention des thermidoriens, largement reprise par les historiens des XIXème et XXème siècles, pour désigner la période du supposé gouvernement de Robespierre et du Comité de Salut Public, en 1793-1794. Disons-le : elle avait d’abord pour but de les dédouaner de leurs propres responsabilités, pourtant souvent patentes. Les textes contemporains n’en font pas mention, et jamais la Convention n’a voté de motion la mettant à l’ordre du jour, même si la formule fut utilisée dans des discours.

C'est que le mot renvoyait à un imaginaire déjà construit au moment des faits.  Il a souvent un sens religieux au XVIIIème siècle : on évoque la « terreur salutaire ». Il a une dimension militaire (c’est la « terreur panique » qui frappe des troupes au combat dans certaines circonstances). Il a enfin un sens littéraire. Les références à des décisions terribles pour le bien public sont alors aussi dans tous les esprits, pétris qu’ils sont d’auteurs antiques. C’est dans ces sens-là que le mot est d’abord employé lors de la Révolution. C’est à l’occasion des débats sur la mort du roi que l’emploi du terme renvoie à la politique, avant de devenir un instrument à utiliser délibérément après l’été 1793.

Ce glissement du mot va de pair avec un glissement des attitudes largement dû à la dynamique révolutionnaire dans un contexte d’émotions très fortes qui épuisent les acteurs de ces journées. Emotions de la foule parisienne, sincèrement alarmée de toutes sortes de rumeurs et de complots, émotions des têtes d’affiche de la Révolution, qui se côtoient et se connaissent toutes très bien et voient leurs anciens amis se transformer en ennemis implacables (Brissot et Robespierre ont ainsi été les témoins du mariage de Desmoulins), émotions traduites dans le vocabulaire hyperbolique des textes du temps : tout est réuni pour produire des situations dramatiques. 

La suite est une puissante mise en garde contre le recyclage des discours des protagonistes. Les étiquettes relèvent généralement de l’invention. Les Girondins n’ont jamais eu de plan fédéraliste, même si les massacres de septembre 1792 les ont poussés à se méfier des foules parisiennes. Ce sont par contre eux qui ont initié l’utilisation de la justice pour régler des comptes politiques. Si leur propre procès et leur exécution n’a alors eu lieu que plusieurs mois après leur placement en résidence surveillée, c’est que ceux qui ont fui ont alors combattu la République, et Robespierre en a cependant sauvé une partie. Les représentants en mission, figures honnie de la prétendue dictature robespierriste avec les comités de surveillance, n’ont pas tous, loin s’en faut, été des meurtriers irraisonnés. A Lyon, une partie des destructions, imputées aux troupes envoyées punir la ville, était en fait programmée avant même la Révolution. Les armées révolutionnaires, trop peu nombreuses, n’ont eu qu’un rôle anecdotique en-dehors des régions insurgées de l’Ouest.

A l’heure des bilans, deux éléments ressortent : d’abord la place de Paris dans les exécutions, car tous les procès importants y avaient lieu. Ailleurs, ce fut bien plus limité, hors quelques départements, dont le Gard. Ensuite, la difficulté, en reprenant les données compilées par Jacques Hussenet, qu’il y a à faire endosser la responsabilité des 170.000 morts environ de la Vendée à une Convention exterminatrice empêche de parler de génocide, même s’il y eut des massacres.

Au fond, la « Terreur » reste ce qu’elle fut : un argument idéologique et surtout émotionnel pour décrédibiliser certains révolutionnaires en faisant ressortir l’innocence revendiquée de leurs contempteurs. Aujourd’hui, elle sert plus largement et contre toute logique à faire de la Révolution la matrice des phénomènes totalitaires, pour mieux la rejeter avec eux. 

 

Jean-Philippe Coullomb

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