lundi 18 juillet 2022

Lecture d'été 2022 - 2 : Kharkov 1942, de Jean Lopez

 

Jean LOPEZ, Kharkov 1942, le dernier désastre de l’Armée Rouge, collection Champs de bataille, Perrin avec le Ministère des Armées, Paris 2022, 316 pages.


 

Quand on a un faible pour l’histoire militaire la plus classique, Jean Lopez est une bonne pioche. Quand en plus il écrit sur une bataille ayant eu lieu à proximité d’une ville dont on reparle à cause d’une nouvelle guerre, en l’occurrence Kharkov, l’actuelle Kharkiv ukrainienne, l’envie est trop forte et on cède à la tentation d’acheter et de lire son dernier ouvrage. Disons-le, l’éditeur, qui lance avec ce titre une nouvelle collection d’histoire militaire (confiée justement à Jean Lopez), réalisée en partenariat avec le Ministère des Armées, a fait du beau travail. Les cartes en couleur, en encart central, sont agréables à l’œil, lisibles et permettent de suivre correctement les événements décrits dans le texte. Ordres de bataille, notes infrapaginales, sources et bibliographie, index des noms de personnes : tout y est. La qualité d’écriture, toujours simple et percutante, participe aussi du plaisir de la lecture.

Sur le fond, on a le récit d’une offensive soviétique ratée en mai 1942, lancée à partir d’un saillant dans le front allemand pour envelopper et prendre Kharkov avant d’exploiter plus loin. D’entrée, l’objectif semble surdimensionné pour les moyens engagés, et isolée, une telle attaque n’aurait de toute façon pu avoir que peu d’incidence stratégique sur le cours de la guerre. Elle est déclenchée quelques jours avant que les Allemands ne passent eux-mêmes à l’offensive pour cisailler à sa base le susdit saillant. La manœuvre russe les oblige à anticiper quelque peu leur propre manœuvre, mais aboutit finalement à la rendre plus destructrice encore que ce à quoi elle aurait pu prétendre. Timochenko, en particulier, s’acharne à ordonner d’attaquer au fond du saillant alors même qu’il est en voie d’être sectionné à sa base par les chars de Kleist. On saura gré à l’auteur d’avoir utilisé les souvenirs d’un sergent soviétique, qui raconte de l’intérieur, au ras du sol, la fuite et la survie dans un de ces chaudrons terrifiants qui a marqué la guerre à l’Est. Le bilan est éloquent, avec environ un quart de million d’hommes perdus, un matériel immense détruit ou abandonné par l’Armée Rouge, contre 20.000 hommes perdus pour la Wehrmacht.

Coincée entre Barbarossa et Stalingrad, moins symbolique que le siège meurtrier de Sébastopol, cette bataille pour Kharkov, la troisième de la guerre, reste une grande oubliée des mémoires du conflit. Elle n’est évoquée que dans les mémoires des chefs russes y ayant participé, et qui cherchent surtout à se défausser de leurs responsabilités sur leurs camarades ou leurs supérieurs. Elle est pourtant riche d’enseignements auxquels l’actualité donne un écho particulier. La sous-estimation de l’adversaire par le haut commandement et la direction politique russes, nourrie par une surévaluation sidérante des pertes qu’il a subies (Staline les croit six fois plus élevées que la réalité !) semblent sorties des émissions actuelles sur la guerre en Ukraine. La terreur devant un chef que l’on n’ose contredire n’est pas sans rappeler cette scène surréaliste du patron du FSB bredouillant devant Vladimir Poutine.

Si la bataille fut une lourde défaite pour les Soviétiques, on aura compris que ce livre est belle une réussite, et on se dit que l’on risque de revenir à cette nouvelle collection. Les prochains titres annoncés portent sur Verdun et Crécy.

 

Jean-Philippe Coullomb

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