Nicolas OFFENSTADT à Scène de Bayssan
A l'invitation de
l'APHG-LR, Nicolas Offenstadt est venue régaler le public biterrois d'une belle
conférence dans le chapiteau de Scène de Bayssan mercredi 20 novembre.
Soulignons à nouveau, mais c'est amplement mérité, la disponibilité et la
qualité de l'accueil qui nous est réservé à chaque fois par l'ensemble de
l'équipe qui officie dans ce lieu, de l'agent d'accueil jusqu'au directeur en
personne, toujours disponible pour aplanir la moindre difficulté qui peut se
présenter.
Régaler, avons-nous
dit, est le mot n'est en rien galvaudé lorsqu'on voit et que l'on entend
Nicolas Offenstadt. Son propos est toujours clair, appuyé sur des photographies
qu'il a pu prendre au gré de ses pérégrinations, et il apporte toujours des
éclairages supplémentaires par rapport aux événements les plus récents.
Il nous a d'abord
présenté sa démarche. Surpris par la présence de paysages fantômes dans un pays
fort riche, il s'est intéressé à eux, à ce qu'ils avaient été, à ce qui les a
détruit, et à ce qu'ils deviennent. Il peut ainsi reprendre à son compte
l'expression des géographes de "villes perforées" pour ces espaces à l'abandon souvent situés en
plein centre des villes. L'URBEX (ou "exploration urbaine") qu'il
pratique devient l'objet d'une méthode empirique et efficace. Il recherche
d'abord quels endroits peuvent être les plus intéressants, puis il s'y rend et
les fouille, n'hésitant pas à s'attaquer aux poubelles, prélève quelques
échantillons de documents, puis compare le résultat de ses trouvailles avec ce
que peuvent donner des archives officielles (par exemple des photos des lieux à
l'époque de leur splendeur). L'ensemble s'avère fort judicieux quand on sait que
certains des bâtiments sur lesquels il a travaillé ont ensuite été purement et
simplement rasés avec tout leur contenu.
Ensuite, cela lui
permet de mesurer les effets économiques et sociaux de la réunification. La
liquidation de 10.000 entreprises communistes par la Treuhand s'est faite dans
la précipitation pour des raisons idéologiques et dans l'affairisme le plus
débridé pour les aspects pratiques. On mesure mal le choc qu'a pu représenter
pour une population de 16 millions d'habitants la perte de 2,5 millions
d'emplois en quatre ans. Deux tiers des gens ont dû changer d'emploi dans ces
mêmes quatre ans, souvent pour passer sous les fourches caudines de jeunes Wessies arrogants. L'immobilier a
souvent été racheté par des Allemands de l'Ouest, seuls à avoir les capitaux
nécessaires aux opérations de réhabilitation. Avec en plus le changement de nom
des rues, ou encore le déplacement de nombre de statues (leur
"cantonnement", comme le dit le conférencier), c'est tout un cadre de
vie dans lequel des millions de gens avaient vécu qui s'est retrouvé dévalorisé
quand il n'était pas détruit.
A côté de quelques
nostalgiques, qui vont parfois jusqu'à rétablir des stèles, le résultat
essentiel est un trouble de l'identité qu'aucune parole officielle n'a jamais
assumé. Beaucoup de petits musées ont ouvert sur la vie en RDA, mais ils sont
le fait d'initiatives privées. La traduction en est aujourd'hui politique avec
le parti d'extrême-droite AFD qui surfe sur cette identité bafouée, avec des
slogans lourds de sens, comme "Nous sommes le peuple" ou "L'Est
se lève". Avec Die Linke, ses élus viennent de demander l'ouverture d'une
commission d'enquête sur la Treuhand.
Les questions avec la
salle ont été l'occasion de préciser ou de compléter certains points. Dans le
secteur agricole, les communautés rurales et les coopératives ont dans
l'ensemble mieux résisté car les coopérateurs en RDA restaient juridiquement
propriétaires de leurs terres. La comparaison avec les autres pays de l'ancien
bloc de l'Est amène quant à elle des conclusions nuancées : eux n'ont pas
bénéficié de la manne financière de la RFA, mais les anciens communistes s'y
sont généralement maintenus plus longtemps au pouvoir et la transition
socio-économique y a été moins brutale.
La soirée s'est
clôturée avec une séance de dédicace, organisée en partenariat avec la
librairie Clareton de Béziers, qui a permis au public d'avoir un contact
personnel, visiblement apprécié de part et d'autres, avec le conférencier.
La qualité de la
conférence et des échanges, la venue d'un public nombreux avec beaucoup de
collègues, ont constitué les ingrédients d'une soirée incontestablement
réussie.
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