Lecture de déconfinement
A quelle échelle organiser le déconfinement ? Au niveau du département, de la région ? Le choix finalement effectué, celui du département, en dit finalement long sur ce que reste l'organisation du pays. Une fois de plus, le département s'ancre dans la tradition française, et il y a fort à parier qu'il en ressortira renforcé dans l'esprit de nos concitoyens. Les identités régionales restent-elles donc une vue de l'esprit ? C'est en tout cas l'occasion d'y réfléchir, à partir d'un ouvrage récent d'Olivier Grenouilleau, Nos petites patries. Identités régionales et Etat central, en France, des origines à nos jours.
Olivier GRENOUILLEAU, Nos petites patries. Identités régionales et Etat central, en France,
des origines à nos jours, Collection Bibliothèque des Histoires, Gallimard,
Paris 2019, 281 pages.
Il est des auteurs que
l’on se plaît à retrouver, et plus encore quand ils quittent leurs chasses
gardées pour aller braconner ailleurs. Olivier Grenouilleau est de ceux-là. Spécialiste
reconnu de la question des traites et de l’esclavage, le voici qui nous offre
un livre sur l’histoire du fait régional en France. Il s’explique de ce choix
dans son introduction : l’âge avançant, l’historien, et l’homme qui est en
lui, se penchent sur leurs racines, en fait sur le rapport qu’ils entretiennent
à leur pays. Il a lu, il a dirigé des travaux, et il présente à la fois une
synthèse et une série de pistes de réflexion sur cette histoire du fait
régional en France.
S’il évoque, pour une
comparaison, les structures de la Gaule romaine ou du Moyen-Age, le corps de
son ouvrage se rapporte aux trois derniers siècles suivant un plan globalement
chronologique. Il présente ainsi la création ou la tentative de création
d’identités régionales et les met en regard de l’évolution des structures
administratives du pays dans leur dimension territoriale. Que retenir de ce
parcours ? D’abord, la dimension identitaire, culturelle, est largement
une invention du XIXème siècle. En fait, elle se développe en parallèle du
sentiment national, et pas contre lui. C’est l’âge romantique qui amène à une
assimilation entre un territoire et sa population, jusqu’à figer le résultat
dans les stéréotypes bien connus du Breton dur comme le granit ou du Corse
orgueilleux et indolent. Cela se produit sous l’effet d’un double
mouvement : celui de groupes plus ou moins soucieux de folklore ou de
langues régionales comme les Félibres, et celui de l’Etat qui essaie
d’inventorier son territoire et sa population par des agents qui ne cessent de
mettre en exergue les particularités de l’espace dont ils ont la charge, le
mouvement commençant sous le Premier Empire. Pendant longtemps, cela ne
débouche pas sur des tensions politiques car l’attachement à la « petite
patrie » est vu comme une propédeutique à l’amour du pays. Ce n’est
qu’entre les deux conflits mondiaux que ces deux éléments se perçoivent parfois
comme contradictoires, avec par exemple l’apparition d’un parti autonomiste
breton. La période de l’Occupation aboutit finalement à discréditer les
discours autonomistes, car ceux qui les tiennent finissent, par détestation de
la France, par sympathiser avec les nazis quand ils ne prennent pas l’uniforme
SS. Le régionalisme culturel renaît pourtant, dans les années 1960-1970, mais
cette fois avec des valeurs qui se veulent de gauche, au temps de la
décolonisation et de la remise en cause de la France et de son Etat
centralisateur.
L’aspect identitaire
n’a donc finalement pas été un grand souci pour l’Etat central. Par contre, que
de débats a-t-il pu produire pour déterminer la nature, les limites et le degré
d’autonomie de ce que l’on appelle aujourd’hui les circonscriptions
territoriales ! A lire Grenouilleau, on reste interdit devant l’ancienneté
de ces questions et le nombre de « réformes » qui ont pu leur
être consacrées. Fénelon propose dès la fin du XVIIème siècle un système
d’assemblées locales pour que le roi soit mieux obéi et perçoive plus
facilement les impôts. D’Argenson demande dès 1737 le découpage du pays en
territoires égaux qu’il nomme « départements ». Necker crée des
assemblées provinciales. Dans une période plus récente, on ne compte pas moins
de 24 propositions de régionalisation entre 1886 et 1919. Ces débats et ces
propositions semblent traverser toutes les périodes et tous les régimes.
Clémentel demande le découpage du pays en une vingtaine de régions en 1917 pour
faciliter l’effort de guerre. R. Alibert en prévoit 26 sous le régime de Vichy, moment où apparaît
l’expression d’ « aménagement du territoire », tandis que le
service chargé de l’étude statistique de la population est dirigé par
Jean-François Gravier. Les « régions de programme » sont lancées en
1956, et le cadre reste géographiquement à peu près stable jusqu’à la réforme
de 2013. Les pouvoirs, eux, sont considérablement élargis avec la
décentralisation. Le moment révolutionnaire passe dès lors pour ce qu’il
fut : le temps du seul grand changement possible et réalisé d’un coup. La
pérennité de son résultat, les départements, s’explique par leur efficacité
dans la gestion du pays, dont tous les régimes en place ont joué, et sans doute
aussi dans la satisfaction de toutes les villes et de tous les notables qui y
ont vu la confirmation ou l’extension de leur rôle. La période actuelle, quand
à elle, pose la question de leur place face à un Etat qui se refuse à être
autre chose que défaillant. Les fonctionnements dérogatoires à la règle commune
sont de plus en plus nombreux, et on observe une volonté nouvelle d’ancrer
l’action régionale dans le culturel, alors qu’elle avait toujours eu une
dimension surtout technocratique.
On a donc un ouvrage
qui suscite la réflexion, et si l’on peut ne pas être d’accord avec l’auteur,
par exemple lorsqu’il considère avec optimisme les identités régionales comme
une porte ouverte sur l’avenir (on pourrait tout aussi bien y voir un
rétrécissement artificiel des horizons pour satisfaire quelques élus et
quelques groupuscules en mal de notoriété), on n’en apprécie pas moins son
érudition et sa réflexion régional sur l'objet historique complexe à part
entière qu'est le fait régional.
Jean-Philippe Coullomb
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