Jean-Paul DEMOULE, Aux origines, l’archéologie. Une science au cœur des grands débats de notre temps, La Découverte, Paris 2020, 334 pages.
Ancien président de l’Inrap, Jean-Paul Demoule est connu pour ses nombreux ouvrages, notamment sur les découvertes archéologiques réalisées récemment. Ecrits dans un langage simple et clair, ils rendent accessibles à tout un chacun nombre de connaissances remettant en cause nos idées sur les périodes passées depuis le néolithique. Nous retrouvons ici ses qualités dans un livre à la fois engagé et argumenté sur notre monde et sur la place que l’archéologie y tient. Engagé, il l’est à deux titres : l’auteur ne cache nullement ses sympathies et ses antipathies idéologiques, et il prend la défense de cette discipline qu’il a tant illustrée, alors même qu’elle heurte bien souvent des intérêts économiques par les retards et les coûts qu’elle induit sur les chantiers.
Si on peut donc parfaitement ne pas partager tous les points de vue exprimés par J.-P. Demoule, le croisement de ces deux engagements apporte effectivement des éclairages instructifs. Il s’en prend ainsi à l’instrumentalisation de l’Histoire et de l’archéologie à des fins politiques, en particulier durant la présidence de Nicolas Sarkozy, pour relever à quel point les élus de la majorité d’alors, toujours prompts à défendre une vision très identitaire de l’histoire du pays, ont toujours été les premiers à demander une révision à la baisse des interventions des archéologues, considérant qu’ils limitaient par trop la liberté d’aménager et de gagner de l’argent. C’est sous Jacques Chirac que fut votée une loi permettant la création d’un secteur commercial dans l’archéologie, sur le modèle anglo-saxon. Facilité par le dogme libéral défendu dans les instances européennes, cela a abouti à avoir des entreprises surtout soucieuses de rentabilité, qu’elles n’atteignent qu’en proposant aux aménageurs une pratique superficielle et peu efficace de leur discipline. Demoule donne l’exemple du chantier du canal Seine - Nord - Europe : là où les méthodes de ces structures privées n’ont révélé que deux sites à explorer, la méthode par tranchée, utilisée par l’Inrap, a permis d’en trouver douze. On imagine les destructions cautionnées par ce type de méthode « scientifique » utilisant uniquement des technologies modernes ! Incapables de repérer des marques légères telles que des traces de poteaux de bois, l’auteur suggère même qu’elles sont à l’origine de la faiblesse des découvertes outre-Manche. Amenant à un éclatement complet des circuits de la recherche, avec des méthodes incohérentes et l’absence de publication des résultats, elles se montrent néfastes à tous, hormis aux comptes en banque de leurs actionnaires.
La dernière partie du livre montre alors toutes les difficultés qu’il y a en France à obtenir une reconnaissance réelle du rôle et de l’importance de l’archéologie. Marquées par le mythe des origines gréco-romaines de notre univers culturel, les élites françaises n’ont jamais vu l’intérêt de la plupart des fouilles réalisées sur notre sol. L’auteur ne dit pas, mais c’est sans doute aussi vrai, que l’accent mis sur le latin et la culture purement livresque ont longtemps rabaissé l’archéologie au rang d’une modeste « science auxiliaire », y compris pour les historiens de métier. L’Inrap reste donc une structure récente, apparue seulement en 2001, et qui s’est immédiatement heurtée à des intérêts économiques puissants. Des deux ministères qui en ont la tutelle, celui de la Culture et celui de la Recherche, le second ne s’en est absolument jamais préoccupé, allant jusqu’à nier l’aspect scientifique de l’archéologie, au prétexte qu’elle n’emploie que 10 % de docteurs. Il ne l’a jamais financée. Dans ces conditions, les rapports de la Cour des Comptes ou de l’Inspection Générale des Finances, toujours critiques envers la dépense du moindre argent public et vantant la soi-disant meilleure gestion par le privé, n’ont pu que multiplier les reproches envers l’Inrap, sans apporter le moindre début de solution. La présidence de Hollande fut celle des rapports, toujours édulcorés et s’enchaînant de façon à repousser l’obligation de régler ce problème, tandis que l’archéologie fut toujours la première victime des « chocs de simplification » et autres suppression de « petites taxes ». La loi de 2016, qui est issue de cette situation, n’entérine donc qu’un seul progrès réel : la propriété publique des découvertes sur un terrain donné, et encore uniquement à partir du moment où il change de propriétaire.
Cet ensemble pourrait sembler bien décourageant, mais l’auteur finit sur une note optimiste : les phases de très fortes inégalités, comme celle que nous connaissons, finissent toujours par se terminer, comme le montre une archéologie qui passionne les Français. Tôt ou tard, la demande sociale ne pourra pas être ignorée.
Jean-Philippe Coullomb
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