vendredi 30 août 2013

Hommage au professeur Charles-Olivier Carbonell (Paru dans Historiens et Géographes n°423 juillet-août 2013


Hommage au professeur Charles-Olivier Carbonell
(Pézenas, le 20 avril 1930 – Montpellier, le 2 janvier 2013)



C’est un fidèle adhérent de l’APHG qui nous as quittés. Charles -Olivier Carbonnell nous était
familier par les ouvrages de lycée qu’il avait rédigés dans la collection Delagrave, par son
soutien sans failles à l’APHG, par sa participation à une didactique fondée sur des recherches
scientifiques, par sa passion pour l’analyse comparée des manuels scolaires, par ses efforts pour
bâtir une histoire européenne et son projet de manuel pour les élèves européens en particulier
sur l’Histoire de l’Europe. Deux de ses collègues Christian Amalvi et Carol Iancu lui rendent
hommage.

Charles-Olivier Carbonell a passé son adolescence hors de la métropole, suivant son
père, professeur de philosophie, dans ses différentes affectations : à Istanbul, puis à Sétif et à
Philippeville en Algérie. Rentré en France en 1947, il poursuit des études d’histoire au lycée Pierre
de Fermat et à la faculté des lettres de Toulouse jusqu’au CAPES, obtenu en 1953. Agrégé
d’histoire, il est nommé professeur d’histoire au lycée Pierre de Fermat puis entre dans
l’enseignement supérieur, en devenant, de 1961 à 1967, l’assistant de Jacques Godechot, doyen de
la faculté des lettres de Toulouse, puis maître-assistant à l’Université de Toulouse-le-Mirail, enfin, à
partir de 1978, maître de conférences, puis professeur, jusqu’à sa retraite en 1998, à l’Université
Paul-Valéry- Montpellier-III. Son œuvre très variée s’oriente dans quatre directions : la didactique
de l’histoire ; la mythographie politique ; l’historiographie ; l’histoire de l’Europe.
Spécialiste des manuels scolaires, il l’est à double titre. D’abord, comme co-auteur,
avec son collègue toulousain, Jean Sentou, d’un manuel pour la classe de terminale, Le Monde
contemporain, publié, en 1962, chez Delagrave, qui rencontra un grand succès. Par la suite, il s’est
intéressé à la production des manuels scolaires et à leurs auteurs, présidant par exemple à
Montpellier, en 1983, le colloque « Jules Isaac, un pédagogue pour notre temps », organisé par
l’association des Amis de Jules Isaac, puis intervenant dans les colloques organisés par Pierre
Boutan et le regretté Pierre Guibbert à l’IUFM de Montpellier.
Ses cours donnés à l’IEP de Toulouse de 1962 à 1992, ont nourri des recherches de
Mythographie, qui ont débouché sur deux publications originales qu’il a dirigées : le Message
politique et social de la bande dessinée en 1975, et, en 1991, en collaboration avec Jean Rives,
Mythes et politique.
L’apport scientifique le plus considérable de Charles-Olivier Carbonell relève surtout
de l’historiographie, dont, avec Pierre Nora, il invente probablement le territoire. Délaissant
volontairement les chefs-d’œuvre et les génies de la période romantique – Michelet, Guizot,
Lamartine, Tocqueville, et les autres – il s’efforce de replacer tous les discours historiques dans le
contexte politique, culturel, religieux dans lequel ils ont été tenus et de mesurer leur impact dans la
communauté scientifique et le grand public sans jamais se soucier ni de leur dimension littéraire, ni
du sort que la postérité leur a, à tort ou à raison, réservé. Dans cette perspective neuve, qui
privilégie la production de l’histoire au détriment de la réputation de son auteur, il est sans doute un
des premiers à tenter de définir, en sociologue, dans sa thèse pionnière Histoire et historiens : 1865-
1885, publiée en 1976, chez Privat à Toulouse, ce qu’est vraiment le métier d’historien de Fustel de
Coulanges à Ernest Lavisse, « moment » qui correspond au passage crucial de l’âge héroïque des
études historiques à leur organisation administrative sous la Troisième République. Un autre de sesouvrages témoigne de ce changement de regard sur la condition et le métier d’historien qu’il a
initié. L’Autre Champollion, publié aux Presses de l’IEP de Toulouse en 1984, s’intéresse, non pas à
Jean-François Champollion (1790-1832), le génial déchiffreur des hiéroglyphes, mais à son frère
aîné, Jacques-Joseph Champollion-Figeac (1778-1867), érudit laborieux certes, mais qui a joué un
rôle de premier plan, entre 1830 et 1848, dans l’organisation des études historiques.
A partir des années 1990, l’Europe est devenue, sous l’influence de sa seconde
épouse Jocelyne Bonnet, professeur d’Ethnologie à l’ Université Paul-Valéry-Montpellier-III, le lieu
de convergence des recherches antérieurement conduites en didactique, en mythographie et en
historiographie. Entré, en 1991, dans le réseau Eurethno, créé en 1988 à Strasbourg, sous le
patronage du Conseil de l’Europe, il participe à de nombreuses rencontres internationales, dont le fil
rouge est une réflexion de portée à la fois épistémologique, historiographique et anthropologique
autour des éléments fondateurs de l’identité européenne, notamment celle de Montpellier, en 1992,
« Identités de l’Europe, Identité de l’Europe. Sources et méthode ». Cette attention portée à une
définition pluridisciplinaire de l’Europe débouche sur la publication, chez Privat, en 1999, d’une
Histoire européenne de l’Europe en deux volumes, que Charles-Olivier Carbonell dirige et où le
continent européen est davantage défini par ses traits constitutifs culturels forgés au cours des
siècles que par ses caractères géographiques. Cet ouvrage a été traduit en roumain et publié aux
éditions de l’Université Babes-Bolyai de Cluj-Napoca.
Professeur invité en Russie (Moscou), au Brésil (Sao Polo et Curitiba) et en Chine
(Chengdu), il a contribué à y faire rayonner les acquis de l’école historiographique française, ainsi
que lors des réunions scientifiques, dans leurs pays d’origine, avec des universitaires allemands,
belges, italiens, polonais, roumains, grecs, bulgares, etc.
Au-delà de la diversité d’une œuvre dense, il nous laisse en héritage une méthode, exprimée
en conclusion de sa thèse, qui reste toujours d’ actualité pour comprendre les conditions qui
rendent possible l’exercice de la profession de chercheur : « Le singulier se décompose en pluriel. Il
n’y a pas de moment, mais une période, de héros, mais un groupe, d’ouvrage génial, mais une
production. Le pluriel d’histoire et d’historiens est un pluriel exigeant. Au terme de l’effort qui en
sonde la richesse, il témoigne d’une singularité essentielle, celle de l’homme ».
S’il a réussi à ressusciter avec tant d’aisance le passé, c’est qu’il lui a été toujours présent. Il
aimait cette phrase du philosophe italien Benedetto Croce : « Toute histoire est histoire
contemporaine ».
Cependant le souvenir principal que nous conserverons du professeur Charles-Olivier
Carbonell, nous ses collègues et ses amis, c’est moins celui de ses ouvrages, même si, sur le plan
méthodologique, ils ont beaucoup compté pour nous, que celui de son charisme personnel, de son
rayonnement humain, de sa générosité permanente. Par sa disponibilité souriante aussi bien envers
ses collègues universitaires qu’à l’égard de ses nombreux étudiants, qu’il captivait par son aptitude
à rendre vivantes les théories politiques les plus abstraites, en ayant recours, en bon méridional qu’il
était, aux métaphores sportives, il fut toujours l’antithèse absolue du mandarin rigide, inaccessible
et arrogant. Sa vie illustre parfaitement ce que souligne notre collègue Françoise Waquet dans son
beau livre, Les Enfants de Socrate, paru chez Albin Michel en 2008 : à l’Université et dans le
monde de la recherche scientifique, les relations nouées entre un maître ses collègues et ses
disciples ne relèvent pas toujours des rapports de force, mais peuvent être aussi des liens pleins de
confiance et d’amitié. Grâce au comportement humain et cordial, de Charles-Olivier Carbonell, les
auteurs de cette notice peuvent en témoigner avec une infinie reconnaissance.

Christian Amalvi & Carol Iancu, Université Paul-Valéry – Montpellier-III.

Parmi ses nombreuses publications, citons :
1. L’historiographie : Histoire et historiens, une mutation idéologique des historiens français
(1865-1885), Toulouse, Privat, 1976 ; L’Historiographie du catharisme (dir.), Toulouse, Privat,
Cahiers de Fanjeaux, vol. 14, 1979 ; L’Historiographie, Paris, PUF, 1982, Que sais-je ? nouv.éd., 1998 ; Les Sciences historiques d’Hérodote à nos jours, Paris, Larousse, 1994.
2. La Mythographie politique : Le Grand octobre russe, Paris, Le Centurion, 1967 ; Mythes et
politique (dir.), Toulouse, Presses de l’IEP de Toulouse, 1991.
3. La didactique de l’histoire. Trois manuels pour les classes de Première et de Terminale,
publiés chez Delagrave : Le Monde contemporain (1962, huit éditions jusqu’en 1980) ; Hier, le
monde (1982) ; Naissance du monde contemporain (1988). Trois ouvrages destinés aux
étudiants : La civilisation britannique, avec J. Costa et S. Halimi, Paris, PUF, 1980 ; Les grandes
dates du XXe siècle, Paris, PUF, 1987 Que sais-je ? 3e
 éd°., 1994 ; Dictionnaire des biographies,
t. 6 : le XXe siècle (en collaboration), Paris, A. Colin, 1992.
4. L’Europe : Une histoire européenne de l’Europe (dir.), Toulouse, Privat, 1999, 2 vol.
*
A paraître dans Historiens et Géographes , n°423 juillet-Août 2013
Tous droits réservés

1 commentaire:

  1. Monsieur, madame,
    j ai lu avec beaucoup d intérêt et de nostalgie votre article et vous en remercie. Monsieur Carbonell fut mon professeur en Sciences Po Toulouse, son enseignement fut précieux dans ma vie.Son savoir, son intelligence, son humanité ont marqué à tout jamais la jeune personne que j 'étais. Aujourd hui encore je pense à ce merveilleux homme et professeur qui devint pour moi à tout jamais une référence, un guide intellectuel et humain. Permettez moi de vous feliciter pour votre excellent article et témoignage qui non seulement renseigne abondamment sur l oeuvre du Professeur Carbonell mais parle avec tant de sensibilité et de justesse de l homme qu il était.
    Mathilde Bernal.

    RépondreSupprimer