mardi 9 février 2016

La chronique cinéma d'Albert Montagne: Javad Zeiny, Le cinéma iranien, Un cinéma national sous influences, de 1900 à 1979 (avant la Révolution)

Javad Zeiny, Le cinéma iranien, Un cinéma national sous influences, de 1900 à 1979 (avant la Révolution), Préface de Jean-Luc Godard. Ed. L’Harmattan, Coll. Iran en transition, novembre 2015, 298 p. 31 €.
Images intégrées 1

Ce livre est issu d'une thèse en Histoire et sémiologie du texte et de l'image sous la direction de Claude Murcia, Le cinéma iranien, un cinéma national sous influences, de 1930 à 1978, soutenue à Paris 7 en 2013. La préface de JLG s’explique par les nombreuses influences - d’où le sous-titre - sur le cinéma iranien, notamment françaises de la Nouvelle Vague. Dès 1917, les religieux se méfient de la photographie et du cinéma, technologies nouvelles venues de loin, et un consul américain est même assassiné parce qu’il voulait photographier un rassemblement de Musulmans. Dès que l’on montre des femmes non voilées dans les salles de cinéma, le cinéma est interdit par les religieux, mais le Shaikh Nouri, ayant visionné et apprécié quelques films en projection privée, lève l’interdit. La voix des religieux perdure cependant dans les mosquées et les journaux contre cet art, diable d’images et de sons et modèle de colonisation et d’aliénation du peuple. La méfiance est identique dans les autres pays musulmans, comme d’ailleurs aux E.-U. avec les Catholiques à Hollywood. Les premiers cinémas iraniens sont ainsi mal vus, assimilés à des lieux pour homosexuels et prostituées, les femmes seules étant considérées comme adultères et les accompagnées étant aussi méprisées. Les premières influences sont turques, 20% de la population iranienne parlant le turc, et théâtrales, égyptiennes, opposant le Bien et le Mal, le pauvre au riche, aux scènes interminables de chants et de danses. S’y ajoute l’influence indienne : même si des différences de religion séparent l’Iran et l’Inde, les deux pays ont les mêmes notions de famille et de vie et les films indiens sont moralement corrects, contrairement aux films occidentaux. Dans les années 60, les influences américaines apparaissent, l’air de changement soufflant des E.-U. à l’Iran avec la violence de Peckinpah, Siegel, Boorman, Forman. La fièvre américaine se transmet aux jeunes cinéastes iraniens tels Amir Naderi, Jalal Moghaddam et, surtout, Massoud Kimiai, qui, empreint de films d’actions et de gangsters, propose dans ses films une version négative de la police et de l’autorité en général, en bravant les interdits. Mais l’influence européenne, néoréaliste italienne et Nouvelle vague française, prédomine. Antonioni, Comencini, De Sica, inspirent Dariush Mehrjui (La vache, Le cercle de Mina), Sohrab Shadid Saless (Un simple événement), Hajir Darush (Bita), Abbas Kariostami (Le pain de la rue, Où est la maison de mon ami ?) ; Rivette, Rohmer, Godard inspirent Mohammad Ali Jafari (Marjan), Farrokh Ghaffari (Le sud de la ville), Majid Mohseni (Le noble voyou), Kamran Shirdel (Le matin du quatrième jour, remake d’A bout de souffle). Le cinéma iranien sous influences perpétuelles est-il un cinéma national ? Oui, comme il a son public, oui, comme il remplit les festivals internationaux, oui, comme il a ses lieux de tournage propres (le hammam, la maison familiale, le cimetière, la mosquée). 10 pages de quelque 50 photos N & B commentées, 5 pages de tableaux en annexes et 5 pages de bibliographie trilingue (anglaise, française et persane) et sélective (on regrette notamment Histoire du cinéma iranien (1900-1999) de Mamad Haghighat et Frédéric Sabouraud et les Cinémas du Moyen-Orient : Iran, Egypte, Turquie d’Yves Thoraval) concluent l’ensemble. Un ouvrage documenté, historique et interculturel, sur un cinéma encore méconnu. On aurait apprécié un chapitre censorial sur un pays connu pour sa politique religieuse rigoriste.

Albert Montagne

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