samedi 27 février 2016

Une recension de Jean-Philippe Coullomb: Philippe JOCKEY, Le mythe de la Grèce blanche, Histoire d’un rêve occidental.

Philippe JOCKEY, Le mythe de la Grèce blanche, Histoire d’un rêve occidental, Belin, Paris 2013, 298 p.
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Lire la documentation historique de travers, c’est une erreur. Et une erreur, cela peut déboucher sur des constructions qui n’ont plus rien à voir avec la réalité et qui s’entretiennent toutes seules par simple projection de fantasmes dessus. Ces constructions dépassent alors même leur réfutation intellectuelle argumentée, et on est sur la fabrication d’un mythe, c’est-à-dire d’une histoire par laquelle on peut expliquer le monde, mais qui n’est en fait que du vent, du vent rassurant par les certitudes qu’il apporte, mais du vent quand même. C’est ce que nous montre ici avec brio Philippe Jockey à propos de la statuaire grecque, que l’usure du temps et les photos des voyagistes nous ont habitués à percevoir comme blanches, contre toute évidence archéologique. Les moyens technologiques les plus récents n’ont fait que confirmer, en le précisant largement, le travail de peinture qui était systématique sur les statues grecques. Sur une sous-couche blanche, on appliquait ainsi des couleurs dont la variété nous laisse pantois : l’époque hellénistique était celle où le rose bonbon côtoyait le vert pomme et toutes les nuances de jaune, les peintres s’ingéniant même à adapter les teintes en fonction de l’éclairage du lieu d’exposition par exemple. Les dorures étaient extrêmement fréquentes, notamment sur les toisons. L’Acropole était ainsi un espace multicolore, aux antipodes des clichés que les touristes peuvent en tirer aujourd’hui.
La dépréciation des couleurs et l’exaltation du blanc commencent très tôt : on les trouve au début de l’empire romain, où les couleurs sont assimilées au monde barbare chez Pline, dans le cadre augustéen du retour aux valeurs des ancêtres contre les habitudes orientales. Visuellement, les camées imposent la représentation en blanc des personnages. La généralisation du christianisme marque évidemment une nouvelle étape dans cette voie, avec la désaffection des temples et la tendance à considérer l’incolore comme une marque de pureté, par exemple chez Grégoire de Tours. Le Moyen-Age peint les églises, mais les éléments réutilisés sont totalement décolorés et Raoul Glaber peut continuer à évoquer son fameux « blanc manteau d’églises » qui recouvre la chrétienté. Occidentale, faut-il le préciser, les habitudes restant différentes dans l’Orient byzantin. Mais c’est le quattrocento et la Renaissance qui voient vraiment le triomphe du blanc. Techniquement, le dessin au trait et le moulage au plâtre l’expliquent, mais surtout le blanc évoque la pureté idéalisée de la sculpture antique retrouvée tandis que la Réforme condamne l’usage des couleurs trop vives. De plus, la découverte des Amériques renvoie encore plus la polychromie dans le monde des sauvages tandis que par symétrie le blanc est celui des Européens et de leurs monarques. Au XVIIIème siècle, Winckelmann systématise et théorise ce principe tandis que le Français Falconnet en vient à préférer les copies en plâtre aux originaux en marbre ou en bronze. Les évidences sont niées : on imagine que le blanc ressortait davantage sur les fresques colorées de Pompéi ! L’indépendance grecque et l’arrivée d’une dynastie bavaroise dans le pays font de ces idées une doctrine officielle dans un pays soucieux de se débarrasser de toute trace d’orientalisme. Alors que les découvertes de statues colorées se multiplient, Gobineau et Maurras exaltent la blancheur rêvée des statues, qui est celle de la race blanche. Maurras déclare d’ailleurs préférer les photographies à la vue des originaux. Il est vrai qu’elles sont alors en noir et blanc… L’entre-deux-guerres va dans le même sens, avec le développement des photographies touristiques ou des films de propagande nazie de Léni Riefensthal. Les années 1960 et 1970 voient une explosion de détournements psychédéliques contre une blancheur assimilée désormais à un monde raciste, dominateur et machiste. La mise en couleur, instrumentalisée aujourd’hui par la publicité ou les montages politiques, reste cependant pour le grand public une surprise contre une habitude visuelle venue de nos musées.
Les enseignants que nous sommes peuvent-ils concourir à changer cet état de fait ?
Jean-Philippe Coullomb

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