jeudi 3 août 2023

Lecture d'été 2023 - 2 : Laïcité, un principe. De l'Antquité au temps présent, par Eric ANCEAU

 

Eric ANCEAU, Laïcité, un principe. De l’Antiquité au temps présent, Passés Composés, Paris 2022, 383 pages.

 


 

Par métier, on se dit qu’il ne peut qu’être bon qu’un historien, enseignant en Sorbonne qui plus est, se penche sur cette question de la laïcité qui taraude la société depuis quelques décennies. C’est une expérience commune aux professeurs d’Histoire-Géographie que nous sommes, et en particulier à celles et ceux qui sont dans la deuxième moitié de leur carrière : un sujet qui semblait totalement froid il n’y a pas si longtemps est devenu quelque chose de brûlant auquel nous sommes confrontés régulièrement (dernièrement sur le port des abayas par des jeunes filles issues de familles de tradition musulmane). Pis encore, nous vivons dans les injonctions gouvernementales à ce sujet, car l’enseignement de la laïcité de l’école au lycée est vu comme le principal moyen, si ce n’est le seul, de montrer que l’on agit pour désamorcer des tensions qui traversent la société.Ouvrons donc ce livre assez copieux d'Eric Anceau.

Pour éclairer ces interrogations, le chemin suivi par l'auteur est au fond d’un grand classicisme. Pour l’essentiel, après une tentative de définition en introduction, où il montre combien il est difficile d’en donner une qui soit un tant soit peu précise, il déroule un classique plan chronologique remontant fort loin pour se rapprocher du temps présent. L’importance de la rupture révolutionnaire et impériale est soulignée. Avant d’arriver aux débats actuels, il fait deux détours par des comparaisons, l’une dans les territoires encore ou autrefois français où la laïcité ne s’applique pas, ou en tout cas pas comme sur l’essentiel du pays, et l’autre sur des fonctionnements plus ou moins proches d’elle qui existent ailleurs dans le monde. Au passage, on y gagnera nombre d’informations intéressantes. L’auteur de ces lignes, avec les lacunes qui sont les siennes, y a découvert que trois présidents des Etats-Unis n’ont pas prêté serment sur un texte sacré, ou encore que la devise « In God We Trust » n’apparait vraiment qu’après la Guerre de Sécession. Le président de la très laïque République française reste sans doute le dernier chef d’Etat à nommer des évêques (en Alsace-Moselle), et à occuper une fonction de chanoine honoraire à Saint-Jean-de-Latran. Certaines remarques semblent des plus judicieuses. A propos de la colonisation, Anceau souligne combien la destruction des structures de pouvoir préexistantes a pu entraîner un développement du religieux, parfois avec la bénédiction (le mot s’impose !) du colonisateur, qui y voit une façon de faire accepter sa propre autorité sur les peuples colonisés, parfois au contraire en réaction contre un occupant venu lancer un processus d’occidentalisation du monde contre son gré. Curieusement, on a pu voir ces deux tendances à l’œuvre simultanément dans une Algérie où la loi de 1905 est imposée par un décret de 1907 !

Au fil d’une lecture instructive, un certain malaise se fait cependant jour. A force de considérer qu’il n’y a pas une définition de la laïcité, Eric Anceau finit par y ranger un peu tout et n’importe quoi. Il parle d’ailleurs explicitement « des laïcités » dans le monde. La sécularisation à l’anglo-saxonne y est mise sur un même pied que la loi de 1905, et les « accommodements raisonnables » à la canadienne ne semblent pas le gêner plus que cela. Il le dit, d’ailleurs, dans la conclusion : « Des mesures comme l’interdiction du port de certains vêtements, celle du refus de saluer une personne du sexe opposé et en particulier de lui serrer la main ou encore celle de l’interruption du travail pour prier pourraient bien ne pas survivre au triple test de leur adéquation, de leur nécessité et de leur proportionnalité. » Bref, on l’a compris, une pareille étude du principe de laïcité pose finalement le problème que le mot lui-même n’est pas pensé, ou surtout qu’il est vu comme une pratique dont la finalité n’est jamais qu’un vague vivre-ensemble superficiellement apaisé. On serait tenté de rappeler à Eric Anceau à quel point les pressions de groupe, instrumentalisées par des influenceurs obéissant à un agenda politico-religieux ne sont pas qu’une vue de l’esprit. La loi de 1905 permet de répondre à ce type d’attitude qui vise à imposer un discours religieux en prétextant qu’on ne saurait l’interdire. Encore faut-il que l’autorité s’en saisisse. On ne pourra par contre qu’être d’accord avec l’auteur lorsqu’il conclut que la laïcité est une volonté appliquée, qui dépend du politique. Au moins sait-on dans quel camp est la balle.


Jean-Philippe Coullomb

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