mercredi 9 août 2023

Lecture d'été 2023 - 3 : Le Grand Récit chinois, par Victor Louzon

 

Victor LOUZON, Le Grand Récit chinois, l’invention d’un destin mondial, Tallandier, Paris 2023, 235 pages.


 

 



Voici un petit livre qui s’avère fort instructif. Son auteur, spécialiste de la guerre et de la violence politique dans le monde chinois, enseignant en Sorbonne, y présente une série de thèmes maintes fois ressassés présentant la Chine comme une grande puissance pacifique par  nature. D’une écriture alerte, intégrant des cartes et une fort utile chronologie de l’histoire chinoise, cet ouvrage s’avère salutaire devant ces billevesées venant de la propagande chinoise que nombre d’intellectuels ou de politiques français colportent avec complaisance, jusqu’à en faire des lieux communs de la pensée française et européenne sur l’Empire du Milieu. Le plan s’articule simplement, en neuf chapitres chronologiques correspondant à un de ces thèmes éminemment positif pour le régime de Pékin.

On les suit ainsi un par un, depuis le « rêve chinois » à prétention universelle mais qui n’est en fait un horizon que pour les Chinois eux-mêmes, jusqu’au mythe de la « province perdue », Taïwan, qui ne fut conquise qu’à la fin du XVIIème siècle et resta très longtemps marginale et très partiellement sinisée seulement. Elle ne l’a vraiment été que sous la dictature de Chiang, après 1949. Et accessoirement, cela s’est délité dès l’avènement de la démocratie à la fin des années 1980. La question de l’indépendance y est donc revenue avec force, et c’est bien Pékin qui en fait un élément de discours nationaliste à vocation d’abord interne. Les routes de la soie, elles, sont ramenées à de justes proportions par V. Louzon, qui rappelle que l’expression elle-même ne vient pas de Chine mais d’un géographe allemand en 1877. Si la Chine n’a pas eu de colonie extérieure, la présentation de son histoire sous l’angle de son unification dans un espace donné masque la part de guerres et de conquêtes violentes, suivies de statuts secondaires, qui a été nécessaire à la constitution de ce pays. Quant à la rhétorique de l’humiliation par les Occidentaux au XIXème siècle, sans mésestimer des réalités dures, elle est de toute évidence surjouée par les dirigeants d’un pays qui n’a en fait jamais été menacé d’un découpage total par les Européens, et qui s’est surtout effondré de lui-même en 1911. C’est d’ailleurs le moment où cette rhétorique apparaît, et avec là encore un usage interne : il s’agissait pour la république de critiquer la dernière dynastie, puis plus tard pour le PCC de fustiger ladite république. Au demeurant, la Chine recouvre sa pleine souveraineté douanière en 1929 et reçoit une place de membre permanent au Conseil de Sécurité de l’ONU dès 1945.

L’auteur conclut ce panorama en expliquant que finalement il n’y a pas UN grand récit chinois, mais une collection de thèmes assez plastiques qui offrent surtout aux pays du « Sud global » un récit différent de celui des Occidentaux, dans lequel il est loisible de piocher ce qui justifie toutes les ambitions du jour.

 

Jean-Philippe Coullomb

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