Réjane-Hamus-Vallée
et Caroline Renouard (dir.), Les métiers du cinéma à
l’ère du numérique, CinémAction n°
155, Ed. Corlet, juin 2014, 192 p., 24 euros.
Comme
la révolution du parlant avait bouleversé le cinéma
muet, celle du numérique a profondément transformé
le cinéma, métamorphosant des pans entiers du Septième
art qui n’a plus rien à voir avec celui d’à
peine une décennie. Les
métiers du cinéma à l'ère du numérique
est logiquement préfacé par Frédérique
Bredin, présidente du CNC, tant les
enjeux sont
considérables. A la fois technologiques, esthétiques,
économiques, professionnels, ils remettent en question tous
Les métiers
du cinéma, de la télévision et de l'audiovisuel
(titre éponyme d'un CinémAction dirigé par René
Prédal en 1990). Cette révolution silencieuse et
systémique oppose des métiers de continuité et
de rupture. Le premier chapitre, Filmer
sans film ou les métiers du tournage numérique,
souligne la sempiternelle magie du cinéma. Le directeur de la
photo (Bérénice Bonhomme), passant de la pellicule au
numérique, doit maîtriser sa caméra, travailler
de pair avec le fabricant (Sony, Red, Arri), changer ses usages
(utilisation de la cellule, étalonnage, contrôle de
l'image), innover, expérimenter, d'où un regain
d'intérêt. L’acteur numérique
(Jean-Baptiste Massuet) est un mutant à l’ère de
la performance
capture : ses
muscles enregistrés simulent un autre que lui qui devient
secondaire. Le cinéma devient théâtre numérique
séparant plus que jamais acteurs et spectateurs, désintégrant
les corps. Où est la performance ? Que devient l’acteur ?
Les ouvriers du numérique ou machinistes (R. Hamus-Vallée)
nécessitent un nouveau matériel aux incessantes
actualisations et des mises à niveaux par des formations
souvent peu réalisées et vécues comme une perte
de temps et d’argent. La caméra HD, plus fragile,
sensible et imprévisible, a un équipement lourd et
complet, considérable et coûteux, pour parer à
tout. On passe d’un 12 m3
à un 35 m3.
A contrario,
la présence humaine rétrécit. Pis, tous les 6
mois, une nouvelle caméra, plus performante et complexe, sort,
entraînant une surenchère de technique et de stress qui
s’accélèrent : l’investissement du
côté des techniciens, les bénéfices de
celui des producteurs, multipliant les sensations de déséquilibre.
Les cinéastes Olivier Nakache et Eric Toledano, interrogés
par C. Renouard, donnent un précieux témoignage sur
cette mutation. Pour Intouchables
(2011), ils ont
d’abord cherché à trouver un équilibre
entre les avantages et inconvénients des deux technologies. La
solution, étonnante, est un panachage : numérique
en caméra Alexa pour les scènes de nuit, argentique en
caméra 35 mm pour les scènes de jour. Avec Samba
(2014), le côté
hybride est impossible et le numérique s’impose. Les
deux cinéastes réalisent avec Ana Antune - leur
directrice de post-production, un métier devenu primordial -
qu’ils ont vécu la fin de l’argentique. Autres
métiers : le stéréographe (Pascal Martin)
qui apporte du relief au film, passant de la projection 2D à
la 3Ds, le photographe de film (l’ancien photographe de
plateau)(Virginie Villemin) et le problème sempiternel des
droits d’auteur, le scripte face au numérique (Olivier
Caïra). Le second chapitre, La
post production numérique,
éclaire des
métiers toujours plus nombreux : ingénieur du son
(Alexandra Tilman, Jocelyn Robert et Pierre Bariaud), directeur de
post-production (Kristian Feigelson), monteur, chef et assistant
(Sébastien Denis), superviseur d’effets visuels (VFX)(R.
Hamus-Vallée et C. Renouard), étalonneur/coloriste (C.
Renouard), animateur 2D/3D (Sébastien Denis), infographiste
(Panagiotis Kyriakoulakos). Le troisième chapitre, Diffuser
autrement,
égraine des métiers différents.
La vidéo
à la demande en France (Jean-Yves Bloch et Marianne
Bloch-Robin) bouleverse la distribution et génère des
métiers à haute technologie : administrateurs de
réseaux, programmateurs, intégrateurs, web-designers,
ergonomes. Si le projectionniste (Yannick Pourpour) est un métier
en récession, l’automatisation renforçant sa
« présence fantôme », l’archiviste
numérique (Frédéric Rolland) et le restaurateur
numérique (Emilie Leroux) deviennent des métiers
essentiels. La promotion des films (Florian Lapôtre et C.
Renouard) crée des réseaux sociaux (Facebook, Twitter),
des sites et blogs cinéphiles, vitrines à part entière
de films, cinéastes, genres, revues. En 2006, pour la première
fois, les dépenses brutes de publicité sur internet
dépassent celles des radios et salles de cinéma, le net
devenant le troisième média de promotion des films
sortant, d’où des métiers numériques
nouveaux : attaché de presse, conseiller et stratège,
développeur, graphiste, et l’émergence de
blogueurs notables, sites phares, administrateurs de pages. Le
critique numérique (Gilles Lyon-Caen) apparaît même.
Enfin, la formation aux métiers du numérique (Frédéric
Tablet) devient un enjeu majeur des universités et grandes
écoles de cinéma. Une sélection exhaustive de
sites internet d'associations, organisations et institutions
professionnelles de cinéma et de l'audiovisuel et un glossaire
conséquent concluent l'ensemble. Puisse ce livre éveiller
des vocations !
Albert
Montagne
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