Jean-Charles JAUFFRET, La guerre d’Algérie, les combattants
français et leur mémoire, Odile Jacob, Paris 2016, 298 pages.
Après son ouvrage sur les
appelés dans le conflit algérien, Jean-Charles Jauffret revient sur les
combattants français et leur expérience dans cet ouvrage qui utilise largement
les mêmes sources, à savoir une enquête orale auprès d’un millier de soldats
ayant participé à cette guerre. Nombre d’entre eux ont remis des documents
personnels à l’historien pour éclairer sa lanterne sur cet épisode de
l’histoire nationale.
Excellent connaisseur de
l’outil militaire français et conteur-né, l’auteur déroule avec brio la vie et
l’engagement de plus de 1.700.000 militaires français sur la terre d’Algérie
entre 1954 et 1962, depuis le passage devant le conseil de révision jusqu’au
retour en France avec des séquelles souvent peu reconnues mais bien réelles
pour ce qui fut la dernière guerre de masse de l’histoire du pays. Il est
attentif à tous les aspects : avec lui, on suit les rappelés
d’Eure-et-Loir, qui saccagent la gare de Dreux en mai 1956 et sèment le
désordre jusqu’à Marseille. On dort, dans un des 5.400 postes de l’armée
française en Algérie, dans des lits
Picaud dont les pieds trempent dans des boîtes de conserve remplies d’eau pour
éviter que la vermine ne monte importuner les hommes étouffant dans les
« odeurs de chaude humanité », belle expression même si on préfère la
rencontrer au détour d’un ouvrage qu’en direct. Elle a le mérite de montrer la
volonté de l’auteur de rendre hommage aux combattants de cette guerre, et il
faut lui savoir gré de n’avoir oublié personne, y compris les objecteurs de
conscience. De même, il est amené à évoquer au fil des pages les hommes de
l’ALN, et il souligne leurs qualités de combattants comme la droiture morale de
certains de leurs chefs, qui parfois interdisent la torture ou protègent tel
instituteur français dans son village isolé car il enseigne avec générosité à
des enfants que la République ignorait trop souvent avant 1954. Les atrocités ont cependant bien existé, et
s’il décrit l’égorgement, il montre aussi ce qu’était la torture dans l’armée
française. Il explique qu’elle n’était pas généralisée, mais qu’elle était
banalisée dans des centaines de centres d’interrogatoire. Il intègre aussi les
apports des recherches récentes, par exemple celles de Raphaëlle Branche sur
l’embuscade de Palestro, ou celles qu’il a lui-même effectuées sur l’essai
nucléaire raté du 1er mai 1962 et le scandale des irradiés. On voit
ainsi le portrait d’une génération qui est la dernière du feu et en même temps
la première des Trente Glorieuses, à la fois obéissante et contestataire, mais
surtout heureuse de se voir libérée en 1962 du joug d’un service militaire long
et peu exaltant, à l'image d'une France qui ne se soucie au fond que peu de
l’Algérie. Nul doute que nombre d'anciens soldats s'y retrouveront.
Pourtant, certains
éléments suscitent des regrets. D’abord, l’absence de cartes, de photographies
et d’index est dommageable, mais les éditions Odile Jacob ne sont visiblement pas
les éditions Autrement, et on ne saurait en tenir rigueur à l’auteur. Si l'on
sait Jean-Charles Jauffret être un homme d'un naturel chaleureux, on reste
surpris de le voir se mettre ainsi en scène en conclusion. Plus gênant, le
corps du texte, fourmillant de détails, donne l’impression d’une succession
d’anecdotes qui s’enchaînent en faisant parfois oublier les idées et les
éléments de référence principaux pour une mise en perspective, qu'ils soient
statistiques ou relevant de la doctrine militaire par exemple. En même temps et
curieusement, l’auteur ne s’explique pas assez d’un choix qu’il défend depuis
maintenant longtemps : le refus de la micro-histoire, en tout cas sur ce
conflit. Il explique pourtant à l’envi qu’il n’y a pas une mais des expériences
de la guerre d’Algérie, en fonction des unités, des secteurs et des moments de
la guerre. Pourquoi alors afficher une telle position ? Est-ce un problème
de source? De difficulté méthodologique? A le lire, on a le sentiment qu’il
estime la mémoire de cette guerre suffisamment fragmentée, à l'image de la
société actuelle, pour que l’historien n’en rajoute pas, ce qui est tout à son
honneur. Il lui appartiendra cependant de clarifier cette position. Alors,
"maître livre", comme le dit dans sa préface Jean-François Sirinelli?
On dira plutôt portrait de groupe impressionniste, chatoyant et agréable, mais
qui demande à être précisé.
Jean-Philippe Coullomb
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