Anne ROLLAND-BOULESTREAU, Les colonnes infernales, violences et guerre civile en Vendée militaire
(1794-1795), Fayard, Paris 2015, 335 pages.
Voici le fruit d’un
travail qui ne peut qu’être bienvenu. Etablir une synthèse informée
scientifiquement sur un sujet aussi explosif que les colonnes infernales relève
même de l’œuvre salutaire face à ceux qui continuent à s’en servir pour mettre
en accusation la Révolution et au-delà la République qui en reste l’héritière.
L’auteure s’est appuyée principalement sur les témoignages des généraux publiés
par Savary en 1824, en les complétant avec d’autres trouvés au SHD.
Ce faisant, elle dresse
un portrait des armées républicaines qui n’est guère ragoûtant même s’il ne
surprendra guère le spécialiste de la question. Le manque d’équipement,
d’armement et de ravitaillement est chronique, à telle enseigne que les paysans
vendéens qu’elles combattent semblent mieux nourris et parfois même mieux
armés. Le pillage est naturel et l’alcoolisme semble tellement ancré jusque
chez les généraux qu’un représentant du peuple est surpris de découvrir la
sobriété régnant dans l’état-major de Marceau. Surtout, la désorganisation est
une norme dans une armée qui opère souvent par petits détachements et qui reste
en campagne continuellement de mars 1793 à décembre 1794 dans un territoire
hostile aux chemins difficilement praticables. Tel général cherche un régiment
pendant des semaines avant de le retrouver sous une autre désignation dans les
troupes qui l’accompagnent. Les effectifs engagés, très difficiles à évaluer,
n’excèdent d’ailleurs sans doute pas 15.000 hommes, et l’armée de l’Ouest
compte presque autant d’hommes aux hôpitaux qu’en opération. La peur du terrain
et de l’adversaire sont aussi une constante. Dans ces conditions, Turreau n’est
qu’un carriériste dépourvu de toute autorité dont le plan inapplicable est très
vite un échec patent. Ce n’est pas un hasard si les solutions systématisées
plus tard par Hoche (cantonner les troupes, ouvrir quelques grands axes
notamment) apparaissent dès son remplacement par Vimeux au printemps 1794. Quel
bilan dresser alors de l’action de ses douze colonnes vite devenues onze ?
Des massacres existent bel et bien, mais ils semblent liés à la personnalité de
certains chefs, comme le sinistre Huché. Turreau gonfle tous les bilans
transmis par ses subordonnés, jusqu’à approcher le chiffre de 20.000 morts qui
semblait fixé comme un objectif vague dans le vocabulaire enfiévré du temps
avant même le début des opérations.
C’est sur ces questions
de chiffres et de vocabulaire que cet ouvrage laisse un peu le lecteur sur sa
faim. L’auteure ne s’est pas penchée sur les registres des corps de troupe
engagés, et ne les cite d’ailleurs jamais, d’où l’impression d’une masse de
combattants bleus informe et à vrai dire assez inerte. En se limitant aux
rapports des généraux, elle évacue pratiquement la question des hommes alors
même qu’elle essaie de les décrire et de les comparer à ceux que Browning ou
Ingrao ont pu étudier pour la période 1939-1945. Les chiffres fournis par les
chefs ne sont pas simplement approximatifs, ils peuvent être parfois
franchement impressionnistes et dépourvus de tout lien avec la réalité, aussi
surprenant que cela puisse paraître. Le vocabulaire utilisé par les mêmes
généraux, qu’il décrive l’ennemi, le terrain ou leurs propres soldats, doit-il aussi
être pris pour argent comptant et interprété à cette aune ? Il est
loisible de trouver des déclarations enfiévrées avec un vocabulaire aussi
grandiloquent que les peintures néoclassiques de David à cette époque-là. Le
drame tient plutôt dans la volonté de Turreau de leur donner une traduction
concrète. Si le retour à un vocabulaire plus apaisé et à un monde plus normal
est évident après thermidor, on en constate les prodromes dès le printemps
précédent à lire cet ouvrage. Là est sans doute la leçon la plus intéressante à
en retenir.
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