lundi 10 août 2020

Lecture d'été 2020 - 3 : Les Maquisards, par Fabrice Grenard


Fabrice GRENARD, Les Maquisards. Combattre dans la France occupée, Editions Vendémiaire, Paris 2019, 614 pages.

 

S’il est un sujet obscurci par une mythologie à la fois héroïque et dramatique, c’est bien celui des maquis en France pendant la Seconde Guerre mondiale. A la seule évocation de leur nom, on a immédiatement des images en tête, et on croit connaître le sujet. Déjà auteur de plusieurs ouvrages sur ce thème, dont une biographie de Georges Guingouin par exemple, Fabrice Grenard nous montre qu’il n’en est rien au moyen d’une synthèse facile d’accès et abondamment nourrie des nombreux mémoires produits par les acteurs de ces événements, mais aussi par les rapports trouvés dans des archives désormais bien ouvertes.

Popularisé par Mérimée à propos de la Corse au XIXème siècle, le mot est repris pour désigner, dès leur apparition, les premiers regroupements de réfractaires refusant d’aller travailler en Allemagne lors de la Seconde Guerre mondiale. Ces regroupements s’observent dès la fin de 1942 et le début de 1943, avec le refus d’une loi sur les réquisitions possibles d’ouvriers qualifiés. La loi créant le STO (16/02/1943) vient amplifier le mouvement et on y trouve de 10 à 15.000 hommes au printemps 1943. C’est la radio suisse qui en fait alors un mythe en inventant des combats en Haute-Savoie à l’artillerie entre ces réfractaires et les forces de l’Axe. Cela pousse les résistants à les prendre en compte, malgré bien des réticences initiales, et donc à les encadrer dans la mesure du possible. Ce sont eux qui leur donnent un fonctionnement militarisé, dans l’AS comme chez les FTP.

Celui-ci reste cependant bien loin de l’idéal qu’il prétend atteindre, et pour une raison toute simple : les moyens frisent l’infime, et les problèmes vitaux monopolisent le quotidien de jeunes citadins perdus dans des zones rurales isolées, avec d’abord l’alimentation. Le vol des institutions vichystes, surtout des Chantiers de Jeunesse, s’avère une nécessité pour obtenir des vêtements adaptés au milieu montagnard (entre 500 et 1.500 m d’altitude). La population se méfie parfois de groupes qui semblent plus marginaux qu’autre chose.

Dans ce contexte, l’hiver 1943-1944 reste un moment difficile pour beaucoup de maquisards, où le découragement gagne alors que des hésitations se font jour sur la stratégie à adopter. Les rares concentrations militarisées qui perdurent, comme celle des Glières, sont la cible d’une répression devenue très brutale, sous la conduite de Darnand et des Allemands suite au décret pris par le général Sperrle le 3/02/44, institutionnalisant le principe des exécutions sommaires et des représailles sur les populations environnantes. Après la mort de son chef charismatique, Tom Morel, le maquis se disperse ainsi après un premier accrochage sérieux, et c’est à ce moment-là qu’il subit des pertes sévères.

Le moral remonte au printemps 1944, et l’annonce du débarquement de Normandie produit parfois une véritable « levée en masse » en miniature, provoquant une augmentation des effectifs jusqu’à peut-être 100.000 hommes, désormais étalée au grand jour. Les gendarmes rallient les maquis. Les parachutages d’armes et de munitions deviennent plus importants, et des équipes de commandos ou des agents de renseignement des services alliés sont expédiés pour les encadrer. Des poches du territoire sont libérées plus ou moins momentanément, tant par des éléments de l’AS que des FTP. La plus célèbre est celle du Vercors, emblème des drames de cette période. Les Allemands appliquent alors les méthodes qui sont les leurs depuis longtemps déjà dans les Balkans et en URSS : exécutions, massacres et déportations. Ils ne peuvent cependant éviter l’évacuation du territoire français sous la pression des troupes alliées partout victorieuses. C’est le moment où les maquisards passent à l’action et se retrouvent en situation de libérer des pans entiers du territoire, surtout dans le Sud-Ouest, et d’obtenir parfois la reddition des troupes d’occupation, le plus souvent formées d’éléments non combattants, comme la colonne Elster. A leur corps défendant, les maquisards sont alors intégrés dans la 1ère Armée française et se retrouvent engagés dans des opérations classiques. 20.000 d’entre eux trouvent ainsi la mort dans la dernière année de guerre.

La conclusion de l’ouvrage en est peut-être le point le plus intéressant car elle évoque le devenir des maquisards après la guerre. Les lauriers de la victoire finale ont finalement été bien maigres pour les participants : rares ont été les carrières politiques ou militaires réussies par la suite. Dès 1944, de Gaulle n’a pas voulu donner le premier rôle à des gens suspects pour leurs supposées affinités communistes, mouvement que la Guerre Froide a encore amplifié. De son côté, le PCF s’est toujours lourdement méfié des chefs maquisards, trop suspects d’indépendance face à sa ligne politique, à l’image d’un Georges Guingouin, exclu du PCF en 1952. Les autres grands oubliés ont été les agents alliés, simplement coupables de ne pas avoir été Français, tel cet officier du SOE, responsable des maquis girondins, à qui de Gaulle donne deux jours pour quitter la France dès l’été 1944 ! C’est pourtant à un devoir de résistance que nombre d’entre eux ont consacré beaucoup de temps jusqu’à leur disparition.

Rendre justice aux hommes n’est donc pas synonyme de se laisser bercer de mythes, et ce que réussit fort bien Fabrice Grenard dans son livre.


Jean-Philippe Coullomb

 

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