Jean-Yves LE NAOUR, 1919-1921, Sortir de la guerre, Perrin, Paris 2020, 542 pages.
Quand on ouvre un livre de Jean-Yves Le Naour, la première chose qui impressionne est la page « du même auteur ». Les pages, faut-il dire dans son cas. L’être humain qui a parfois du mal à poser quelques lignes se sent petit, tout petit, quand il se rend compte que l’auteur dont il veut chroniquer un ouvrage a signé au moins un livre par an depuis 2002 (sept rien qu’en 2008, et encore quatre en 2013). Si Jean-Yves Le Naour écrit beaucoup, il faut lui reconnaître qu’il écrit bien, et dans un style facile à suivre et souvent empreint d’un humour souvent mordant et parfois noir, comme lorsqu’il décrit « les pogroms à la mode orientale » (p. 371). Il se régale de citations toutes plus assassines les unes que les autres d’un Loyd George ou d’un Clemenceau, véritable orfèvre en la matière, et il campe ses personnages en quelques phrases bien senties. Le contenu est celui de l’histoire des relations internationales la plus classique dans ses traditions mais qui tient compte des travaux les plus récents. Il n’y a que la couverture qui fasse référence à la vie quotidienne, avec son image de queue devant une distribution de viande en 1920 à Paris.
Le propos de J.-Y. Le Naour se divise en trois parties où il présente successivement les différents aspects des négociations du traité de Versailles, la poursuite des combats en Europe Centrale, en Russie et dans l’ancien Empire Ottoman, et enfin les tentatives de révolutions. On a d’abord un contenu très classique, où l’on retrouvera l’idéalisme wilsonien qui se heurte aux réalités politiques et à l’appétit de ses alliés, ou encore un Clemenceau qui fait son possible pour que la France obtienne le maximum possible de garanties de sécurité des Anglo-Saxons, quitte à abandonner certaines revendications que lui et Foch estimaient essentielles, se brouillant alors avec ce dernier. Le Naour apporte cependant des éclairages qui remettent en cause bien des idées reçues. D’abord, la mise en place d’un Etat-tampon séparé de l’Allemagne en Rhénanie semble avoir été une option crédible pour la population, au moins dans les tous premiers temps suivant l’armistice. Ensuite, la vision anglaise d’une paix injuste, largement véhiculée par Keynes, par exemple, s’avère être d’abord une erreur, car elle néglige la force économique toujours très importante de l’Allemagne, tandis qu’ensuite elle ouvre la voie à tous les renoncements face au vaincu. Le plus intéressant, sans doute, tient dans l’attitude des gouvernements italien et allemand. A Rome, c’est Orlando qui encourage les mouvements nationalistes dans l’idée de faire pression sur ses alliés, ouvrant la voie aux chantres de la « victoire mutilée ». A Berlin, c’est le gouvernement Scheidemann, pourtant marqué à gauche, qui s’accorde avec les chefs militaires pour entretenir la légende de l’armée invaincue, puis qui soutient et utilise les Freikorps, pépinières du nazisme, pour combattre en Baltique avant d'écraser les tentatives révolutionnaires, tentatives par ailleurs vouées à l’échec, car là comme ailleurs, la majorité des socialistes et des syndicalistes restent légalistes et ne participent pas ou que mollement à ces actions. C’est dans cette collusion entre des gouvernements faibles et des organisations d’extrême-droite que se nouent les problèmes des années 1930, bien plus que dans un traité qui ne pouvait qu’être un compromis et dont la force ne tenait qu’à une participation américaine que son Sénat refuse à Wilson. La France n’a dès lors plus que le choix d’une « Petite Entente » s’appuyant sur des alliés médiocres et divisés entre eux dans une Europe Centrale en ruine.
Cet ouvrage, qui clôt un cycle de livres reprenant année après année la Grande Guerre, a donc toutes les qualités d’une belle synthèse et d’une excellente vulgarisation sur une période et une paix, celle de Versailles, qui continue à être l'objet de bien des idées fausses.
Jean-Philippe Coullomb
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