jeudi 22 août 2019

Lecture d'été - 2019 (5) : La Peur et la Liberté, de Keith LOWE









Keith LOWE, La Peur et la Liberté. Comment la Seconde Guerre mondiale a bouleversé nos vies, Perrin avec le Ministère des Armées, Paris 2019, 636 pages.


 


Quel bilan dresser de la Seconde Guerre mondiale, et comment le présenter ? Ce sont deux questions que tout collègue s’est posé, et qui l’ont gêné, tant la masse de données à synthétiser lui semblait volumineuse, diverse et indiquant des voies contradictoires. L’historien anglais Keith Lowe s’y essaye dans cet ouvrage épais mais très facile d’accès, car écrit et construit avec une élégante simplicité. Le choix de l’auteur a en effet été d’aborder les différents points à étudier les uns après les autres, en partant à chaque fois d’une histoire individuelle obtenue soit par une interview, soit par la lecture de mémoires déjà publiés. Cela donne de la chair au propos, et même si on sent bien que le personnage n’est souvent qu’un prétexte à un discours plus général, la méthode a l’avantage de rendre perceptibles les effets de ce conflit à l’échelle de vies humaines. On a ainsi vingt-quatre chapitres traitant de thèmes aussi divers que la figure du héros, la planification des utopies ou la naissance de nouveaux Etats. Aucun continent n’est oublié, y compris l’Amérique latine, et les comparaisons entre les différents protagonistes et les différents espaces culturels sont permanentes à l’intérieur de chaque point. Nourri d’une abondante bibliographie essentiellement anglo-saxonne, on obtient à l’arrivée un ouvrage qui peut se lire et se relire par fragment en fonction de ses propres centres d’intérêt. Le spécialiste de tel ou tel point trouvera sans nul doute des éléments à reprendre ou à éclairer différemment, mais l’ensemble témoigne vraiment d’un très bel effort de synthèse  mis à la portée du plus grand nombre.


Que retenir d’un tel kaléidoscope ? D’abord, bien sûr, des histoires individuelles qui font frémir, comme celle de ce médecin japonais qui a pratiqué des expériences chirurgicales sur des Chinois arrêtés au hasard, et d’autres qui rassurent sur la capacité des hommes à rêver et construire l’avenir malgré tout, comme ce journaliste italien, antifasciste et à ce titre enfermé pendant la guerre dans un camp, où il écrit sur du papier à cigarette un projet de construction européenne. On observera à ce propos la grande sensibilité de l’auteur aux thèmes qui sont ceux de l’actualité au Royaume-Uni et ailleurs, avec bien sûr le Brexit, et  la place de l’identité dans une mondialisation des migrations.


Les pages évoquant la Shoah et Israël, dans deux chapitres distincts, sont probablement parmi les meilleures. Introduites par les biographies de deux enfants ayant survécu par miracle, elles donnent beaucoup à réfléchir. Dans l’Israël des années 50, pétri de la certitude de bâtir héroïquement un monde nouveau et viril, les rescapés étaient surnommés, avec un mépris à peine humain, les « savons ». Ce n’est qu’avec le procès Eichmann, puis la très difficile victoire du Kippour, que le regard y change, jusqu’à intégrer la dimension victimaire dans l’identité du pays. C’est ce qu’illustre le musée de l’Holocauste à Jérusalem : après les horreurs présentées par la visite, on arrive sur une terrasse devant un beau panorama des collines de Jérusalem. Le sionisme trouve dès lors sa justification dans la Shoah. Tout aussi éclairants encore sont les passages sur la mémoire du génocide ailleurs sur Terre. Façonnée par des images hollywoodiennes où le spectateur ne peut qu’être poussé à s’identifier à des victimes bien élevées et sympathiques, elle aboutit à une image du martyre qui finit par lui donner une dimension profondément chrétienne. Le thème de la Shoah a aussi pu être mobilisé dans beaucoup de cadres différents. Aux pays construisant la CEE puis l’UE, il donnait un élément commun. Aux pays décolonisés, il mettait un terme définitif à la prétendue supériorité européenne. En Amérique du Sud, il permettait un parallèle avec les victimes des dictatures militaires. Aux Etats-Unis, il justifiait la posture du héros sans reproche venant terrasser le Mal. C’est peut-être ce qui explique à quel point il peut être nié ou combattu dans les pays arabes, qui n’ont que la Nakba à lui opposer. L’auteur fait remarquer, avec raison, que quelle que soit la violence dans laquelle elle s’est déroulée, elle n’a fait que s’inscrire dans des pratiques malheureusement fort répandues à l’issue de la guerre et d’une toute autre échelle numérique, que ce soit en Europe de l’Est ou dans le sous-continent indien par exemple.


Surtout, une chose ressort : le second conflit mondial reste une référence absolue dans le monde actuel, suscitant une fascination que l’on ne peut mesurer qu’au nombre astronomique de documentaires, de films, de témoignages, et même de jeux s’y rapportant. Il nous donne nos constructions mentales de base. On y trouve l’archétype absolu du Mal, avec les nazis et Hitler lui-même, et en face le chevalier blanc idéal, que l’on y place le résistant, le soldat soviétique de Stalingrad ou encore son homologue américain de Normandie. L’auteur démontre que cette vision binaire a eu et a toujours un très grand poids qui continue à inspirer la présentation que les gouvernements américains successifs font de toutes les interventions qu’ils mènent sur Terre depuis plus de 70 ans. La diabolisation de l’adversaire par comparaison avec les nazis est aussi une constante de tous les camps en présence au Proche-Orient, éloignant toute perspective de dialogue réel. Ce mythe du Bien en lutte contre le Mal ne trouve certes pas son origine entre 1939 et 1945, mais il s’y est incontestablement rechargé.


On l’aura compris, Keith Lowe a signé un bel ouvrage, auquel l’édition française fait justice, avec quelques illustrations et un appareil critique complet. Sans être parfait, c’est un livre qui mérite d’être lu et médité.


Jean-Philippe Coullomb

mardi 13 août 2019

Lecture d'été - 2019 (4) : Propagande, la manipulation de masse dans le monde contemporain, de David COLON






David COLON, Propagande, la manipulation de masse dans le monde contemporain, Belin, Paris 2019, 431 pages.

 

Les auteurs sont-ils toujours consultés lorsque leur éditeur doit faire le choix d’un visuel pour une couverture ? A lire cet ouvrage, on serait tenté de répondre par la négative. En effet, celle-ci reprend une image de type mussolinien, avec le mot « Propagande » en blanc qui se détache dessus, renvoyant à l’assimilation habituelle entre régimes totalitaires et propagande. Or David Colon explique dès son introduction que c’est un réflexe issu d’un contexte de guerre froide dans les années 1970. Son objet est à la fois plus large et plus actuel : il veut présenter ce qu’est la manipulation des esprits dans le monde d’aujourd’hui. On est donc dans un ouvrage d’actualité qui utilise largement des travaux de spécialistes variés s’appuyant sur des exemples allant du XXème siècle jusqu’à nos jours. Il part des premiers experts en communication de masse, définissant un  cadre intellectuel,  puis il s’attache aux usages variés de cette propagande, avant de suivre par une série de courts chapitres souvent centrés sur un medium particulier, puis de terminer sur les questions liées à Internet et son usage. Disons-le tout de suite, l’ensemble donne parfois la sensation de survoler chacun des nombreux thèmes abordés, et la mesure des effets n’est que très brièvement évoquée en conclusion. La multiplication des domaines étudiés, des références et des exemples peut finir par produire un effet anxiogène car elle place l’individu au milieu d’un maelström de manipulations contradictoires. La bataille pour « le temps de cerveau disponible », le notre, fait décidément rage. Et à vrai dire, on se demande parfois s’il en vaut la peine.

Que peut-on retenir malgré tout de cet ouvrage ? D’abord, le lien très fort entre la communication, l’étude des comportements humains et la publicité, qui apparaît aux Etats-Unis dès les premières années du XXème siècle. On apprend ainsi que Microsoft constitue le deuxième plus important employeur d’anthropologues aux Etats-Unis derrière le gouvernement fédéral, tandis que l’industrie du tabac a fait preuve d’une réelle expertise pour vendre ses productions en parant leur consommation du goût de la liberté. C’est la Première Guerre Mondiale qui voit la création d’une propagande politique de masse, et si les belligérants démobilisent leurs armées une fois la paix revenue, ils gardent les services créés à cette occasion (pensons au Service Cinématographique et Photographique des Armées créé en 1915 dans le cas français, par exemple). Si la Deuxième Guerre Mondiale reste une référence pour les manœuvres d’intoxication de l’adversaire comme l’opération Fortitude pour préparer le débarquement allié en Normandie, la Guerre froide est un moment essentiel car le contrôle des populations était au fond l’enjeu essentiel de la lutte. C’est le KGB qui est à l’origine de la légende selon laquelle le SIDA viendrait d’un laboratoire américain d’armes biologiques, tandis que la CIA a soutenu l’art abstrait pour lutter contre le réalisme socialiste. Et bien sûr l’usine à rêves hollywoodienne a constamment promu l’American Way of Life. On apprend incidemment (en tout cas l’auteur de ces lignes) que la célèbre affiche consacrée à la Révolution Nationale avec une maison France en ruine et une autre redressée par la politique du maréchal Pétain n’a jamais été diffusée car rappelant trop les dissensions politiques.

C’est finalement la dernière partie, consacrée à la « post-vérité » qui reste la plus intéressante, même si elle n’apporte pas de grande révélation.  Elle néglige aussi le fait que tout un chacun peut devenir très consciemment le propagandiste zélé de telle ou telle cause. Elle part de Marc Bloch, qui observait que les rumeurs n’avaient prise que sur des esprits prêts à les croire. Dans ce cadre, la force des théories du complot est d’offrir une clé de compréhension du monde à un public qui n’en a aucune avec l’effondrement des grands récits religieux et nationaux. Cette clé se transforme ensuite en outil de mobilisation pour une jeunesse en manque de repères, nourrie d’une méfiance systématique envers toute parole sensée et argumentée. On sourit en lisant que certains sites et mouvements djihadistes condamnent le complotisme car il aboutit à nier l’efficacité de Ben Laden. On visite les « fermes à trolls » russes ou chinoises qui inondent les réseaux sociaux occidentaux de messages russophiles ou sinophiles. Enfin, cette partie pose la question de l’usage que chacun fait d’Internet : c’est d’abord et avant tout un moyen d’afficher ce que l’on est et ce que l’on pense en croyant que cela peut avoir un effet. Et en faisant ceci, on ne fait surtout que donner des renseignements sur soi-même. Loin de pouvoir influencer la marche du monde, nos posts et nos publications ne servent qu’à donner des armes à ceux qui souhaitent nous utiliser.

Sans révolutionner la pensée contemporaine, l’ouvrage de D. Colon offre donc quelques pistes de réflexion que d’autres lectures permettront de creuser.

Jean-Philippe Coullomb

 

 



jeudi 1 août 2019

Lecture d'été - 2019 (3) : Comment faire mentir les cartes, de Mark MONMONIER







Mark MONMONIER, Comment faire mentir les cartes, Autrement, Paris 2019, 304 pages.


 


Préfacé par Christian Grataloup, voici une nouvelle édition d’un ouvrage maintenant ancien consacré à la cartographie et écrit par un universitaire américain. Des mises à jour nombreuses traitant de l’usage des cartes à l’ère numérique enrichissent son contenu. A l’heure où la lutte contre les fake news doit devenir une priorité nationale dont l’évidence saute aux yeux lorsqu’on entend des adolescents s’exprimer, on se dit que cette lecture ne saurait être inutile. Disons-le tout de suite : sur le fond, on est plutôt déçu, et il est à souhaiter que ce livre n’apprenne pas grand-chose à nos collègues, car il reprend d’abord tous les classiques bien connus de la cartographie (échelle, projection, légende, …). Par ailleurs, et sur la forme, on le lit pourtant avec plaisir. L’humour décalé de Monmonier, qui n’est pas sans rappeler celui dont faisait preuve Luttwak dans son très comique Coup d’Etat, mode d’emploi, crée un manuel qui inspire plutôt le sourire, qualité rare dans ce type d’ouvrage. Apprendre à présenter de façon avantageuse l’implantation d’une entreprise ou d’une activité touristique quelconque sur un petit schéma à but commercial ne manquera pas de rappeler sur un ton léger telle ou telle mésaventure personnelle lors d’une recherche de service ou d’un voyage. Pour le Français béotien de ces questions, l’ouvrage reste par contre instructif sur le rapport que les Américains entretiennent avec les cartes. Leur manipulation dans un but lucratif y semble être la norme, et les inexactitudes qui en résultent dans les localisations doit devenir un mode de fonctionnement mental, qui a dû ouvrir la voie à la généralisation du GPS. Plus étonnant encore, elles ont subi une véritable campagne d’épuration des dénominations jugées politiquement incorrectes depuis la fin des années 1970. La carte dit des choses sur l’espace qu’elle décrit, mais elle en dit finalement aussi beaucoup sur celui qui la crée et sur le monde dont il est issu : c’est peut-être la principale leçon à tirer de ce livre, à méditer et à faire méditer aux élèves lorsqu’ils en utilisent une tirée d’une recherche sur Internet.

Jean-Philippe Coullomb

samedi 20 juillet 2019

Lecture d'été - 2019 (2) : Le pays disparu. Sur les traces de la RDA, de Nicolas OFFENSTADT



 



Nicolas OFFENSTADT, Le Pays disparu, sur les traces de la RDA, Stock, collection Les essais, Paris 2018, 419 pages.


 


C’est un livre un peu étrange que nous livre ici Nicolas Offenstadt. Non pas que le thème soit inintéressant, bien au contraire : l’examen des traces laissées par ce qui fut la RDA est un objet d’étude tout à fait digne d’intérêt et original de ce côté-ci du Rhin. Le style n’est pas non plus en cause : Nicolas Offenstadt écrit simplement et remarquablement bien, avec une évidente empathie pour son sujet, et d’abord pour les témoins qu’il rencontre, en montrant un souci de l’humain qui l’honore. Son texte se lit tel un récit de voyage au milieu des ruines, illustré de photos en noir et blanc dont la fort médiocre qualité convient parfaitement à une promenade au milieu des rêves brisés et des espoirs déçus. La difficulté est celle de la position de l’auteur, qu’il prend honnêtement soin de préciser dès l’introduction puis de rappeler régulièrement : proche dans sa jeunesse des positions d’un Pierre Juquin et historien connu notamment pour ses travaux sur la Première Guerre mondiale, il produit un ouvrage qui n’est ni tout à fait celui d’un chercheur neutre, ni tout à fait celui d’un militant. Les sources utilisées déroutent tout autant l’historien français habitué à ses archives bien cotées et bien conservées dans des dépôts qui offrent des salles de lecture à peu près confortables aux horaires d’ouverture bien précis. La matière première d’Offenstadt, ce sont d’abord des traces matérielles, recueillies au hasard de ses pérégrinations l’ayant amené à pénétrer sans une once d’autorisation dans les innombrables bâtiments à l’abandon que la RDA a pu laisser, ramassant au petit bonheur de la chance dossiers éventrés et objets ayant eu leur utilité autrefois. Il s’aide souvent de plans et de cartes datant de la RDA, au risque de se perdre, tant les changements de noms de rue ont été systématiques depuis la réunification. La mémoire de la RDA ne se trouve pas dans les musées officiels, où seul l’aspect dictatorial est évoqué, mais chez les brocanteurs ou dans les petits musées locaux qui mettent en scène la matérialité de ce qui fut le quotidien de millions d’Allemands de l’Est. Véritable filon littéraire, cinématographique et télévisuel en Allemagne, c’est le retour sur un vécu que le terme, bien connu, d’ « Ostalgie », ne résume que mal et dévalorise par sa dimension aimablement ridicule.


Que peut-on alors retenir de ce parcours dans un pays que l’auteur se plaît à décrire comme « à l’horizontale », à l’image des statues déboulonnées et déposées dans les arrière-cours des musées ? D’abord, si quelqu’un en doutait encore, c’est bien à une annexion qu’a correspondue la réunification, avec une véritable épuration judiciaire à la clé. L’odonymie le confirme assez, avec une épuration équivalente des noms évoquant les régimes communistes en Allemagne et à l’étranger. Lénine plus encore que Marx, et Dimitrov ont largement disparu. Certains odonymes se limitent désormais à une portion réduite des rues pour lesquelles ils étaient utilisés. Les statues qui n’ont pas été purement et simplement enlevées ont été déplacées dans des endroits peu visibles : c’est ce que l’auteur appelle le « cantonnement ». Avec elles, les héros que la RDA s’était donnée, résistants au nazisme ou héros prolétariens comme Spartacus, ont été aussi évacués. A la place, on voit parfois remonter un passé pré-hitlérien, symbolisé par  la reconstruction du palais des Hohenzollern et de l’église de la garnison de Potsdam. L’effacement des quarante ans de la RDA est quasi-complet, alors même que nombre d’Allemands nés à cette époque vivent encore. L’Allemagne de l’Est est ensuite le paradis des friches industrielles car l’économie a été très brutalement alignée sur celle de l’Ouest. Les premières reconversions, plus ou moins hasardeuses, en boîtes de nuit par exemple, ont généralement échoué. Aujourd’hui, des réaménagements en centres tertiaires ou en logements apparaissent, mais c’est loin d’être le cas partout. L’Allemagne de l’Est, c’était un cadre de vie austère, mais aussi simple, peu coûteux et rassurant pour ses habitants car tout était pris en charge par l’Etat et les écarts de revenus étaient faibles. La RDA avait aussi dû composer avec une économie et une société marquées par le capitalisme et le nazisme, et des petits entrepreneurs avaient pu y trouver des moyens de poursuivre leurs affaires, en général dans un fort partenariat obligé avec l’Etat. La RDA offrait aussi un certain nombre de droits pour les femmes, et c’était le pays au monde où le taux de divorce était le plus élevé. Des travailleurs immigrés y venaient aussi, notamment des Vietnamiens. Pour les Allemands de l’Est, parler de ce passé est d’ailleurs tout sauf évident, tant ils le savent dévalorisé, et pour tout dire, en contradiction avec les valeurs de l’Allemagne de l’Ouest, qui sont celles de l’Allemagne d’aujourd’hui. L’attachement pour les objets de ce qui fut le quotidien de la RDA tient ainsi lieu de dérivatif dicible sous l’angle de la neutralité politique d’une voiture ou d’un emballage de café Mocca Fix. Avec le départ de quelques 1,8 millions d’Allemands de l’Est pour l’Ouest entre 1989 et 2011, cet attachement se retrouve parfois dans l’ancienne Allemagne de l’Ouest, où des nostalgiques se retrouvent chaque année à Bochum pour l’anniversaire de la fondation de la RDA.


La question est alors celle de la politique, et de l’analyse politique. Offenstadt marque sa surprise et sa désapprobation devant des réalités qui le dérangent. Tel aubergiste qui affiche nombre de souvenirs de la RDA dans son établissement s’avère être un néonazi. A Bochum, il voit l’amitié germano-russe être célébrée par un représentant officiel du Kremlin tandis que des propos ouvertement favorables aux sécessionnistes du Donbass en Ukraine sont tenus. L’antiaméricanisme y sert de socle commun à des gens dont on ne peut que dire que les idées sont parfois nauséabondes. Plus généralement, pour soulever des questions passionnantes (ce qu’est un pays par exemple), l’ouvrage manque d’une mise en perspective de beaucoup d’éléments évoqués. Certes, les noms des rues ont été changés, mais le SED a-t-il pris des gants pour pratiquer de même à partir de 1949 ? Tout l’espace y était politisé, et à sens unique, dans un cadre que l’on ne peut que définir comme totalitaire, même si le mot et l’idée ne plaisent pas à Offenstadt. Et que dire de ces pages attendries sur une statue d’un petit trompette communiste de 13 ou 14 ans, tué en 1925 lors d’un affrontement avec la police et l’extrême-droite, devenue lieu de pèlerinage du temps de la RDA pour l’organisation qui encadrait la jeunesse ? La statue ne racontait pas qu’il avait en fait 28 ans au moment de sa mort. Offenstadt le fait, lui, avec honnêteté, mais pour le coup le ton qu’il emploie semble un peu déplacé. Si l’empathie pour les gens et leur vécu sont à mettre au crédit de l’auteur et nous apprennent que la RDA ne se limitait pas à sa dimension policière, on ne peut que s’étonner de son extension à un cadre dont les qualités réelles ne sauraient faire oublier les défauts.
La question posée, plus largement, est donc celle de la place à accorder à son régime politique lorsqu'on décrit une société disparue, et l'ouvrage de Nicolas Offenstadt, avec toute son honnêteté et son humanité, permet d'y réfléchir.


Jean-Philippe Coullomb


 

lundi 15 juillet 2019

Lecture d'été - 2019 (1) : La révolution culturelle nazie, de Johann CHAPOUTOT





Johann CHAPOUTOT, La révolution culturelle nazie, Gallimard, NRF, Paris 2017, 283 pages.

 
Les nazis avaient-ils une culture ? Contrairement au mot apocryphe que l’on prête toujours à Goebbels, et à condition de quitter le domaine des grosses brutes de la SA, Johann Chapoutot répond par l’affirmative, et il essaie ici d’en analyser les tenants et les aboutissants dans un ouvrage dense et qui sait rester agréable à lire malgré un vocabulaire souvent conceptuel dû à son sujet. Pour ce faire, il étudie un corpus intellectuel nazi, qui touche tous les domaines du savoir, mais où dominent les juristes (Hans Frank, par exemple, était docteur en droit), les médecins et les agronomes (comme Richard Darré), toutes spécialités où les nazis ont été fort nombreux. Il reprend également, à la suite de D. Cesarani, les pièces du dossier Eichmann.

 

Il montre alors à quel point le mythe de la race surdétermine à peu près l’intégralité des domaines de la pensée. Pour les nazis, le sang décide, et le milieu, variable, ne fait que favoriser ou contrarier l’expression des caractéristiques raciales. A ce compte-là et sans surprise, l’inégalité est une donnée fondamentale de la vie, et la notion même d’un  droit individuel et universel n’a pas de sens. Cela amène donc les nazis à répudier tout l’héritage du droit romain, car pour eux c’est le droit dégénéré d’un empire déjà enjuivé où les peuples se mélangent et où le christianisme se répand. Ils se font, en face, les thuriféraires d’un retour aux origines, d’une période où le droit ne servait qu’à assurer le triomphe collectif de la race. Comme les renseignements sur les tribus germaniques sont pour le moins restreints, ils croient pouvoir prendre alors leurs modèles dans les temps plus reculés, ceux de Sparte, de Xénophon et des premiers Romains. Platon est apprécié en ce qu’il justifie la soumission totale de l’individu à l’Etat. Pour Frank, le droit doit donc être plastique en fonction des circonstances, et pour Rosenberg, il doit faciliter l’attachement de la race à son sol. Tout l’héritage universaliste des Lumières est donc balayé, et Kant est détourné de son sens pour définir finalement comme nécessité morale celle d’œuvrer dans le sens du Führer, qui au fond suffit à former le vrai cadre légal pour les nazis. 

Cette redéfinition du droit finit par avoir des conséquences jusque sur le domaine des relations de couple. Le mariage monogamique est critiqué, et des efforts réels sont faits pour améliorer l’accueil des enfants naturels. En effet, le but reste toujours la race, et tout ce qui peut permettre son développement est encouragé. L’ampleur des pertes des conflits mondiaux vient justifier un ordre de Himmler à ses SS d’engrosser leurs compagnes dès qu’ils le peuvent. Si le travail de l’homme est la guerre, celui de la femme est la salle d’accouchement. A ce titre, la gent féminine est d’ailleurs exclue de la fonction publique en 1937. Nombre de grands chefs nazis, comme Himmler et Bormann, y trouvent d’ailleurs une justification bien utile à leurs écarts conjugaux. La nature et ses besoins doivent servir de base au droit, non des principes abstraits venus d’Orient.

C’est qu’en racistes conséquents, les nazis ont une obsession de la biologie qui les pousse à se définir comme les médecins du corps social. On apprend ainsi, en lisant Chapoutot, que le mot « Lebensraum » désignait à l’origine le lieu de vie d’un être vivant, le biotope de l’individu en quelque sorte, pourrait-on dire en langage plus actuel. De là découlent toutes les pratiques les plus folles, comme l’extermination des handicapés avec l’opération T4. Sparte sert évidemment de justification. L’Allemand risquant la dégénérescence raciale sous les Tropiques, la conquête d’un empire colonial ne peut se faire qu’à l’Est, à condition de prendre des mesures prophylactiques dans une zone aussi infestée que celle-ci de mauvaises habitudes portées par les juifs. Chapoutot remarque ainsi la grande fréquence des textes et des images enseignant aux soldats allemands à se méfier de toutes les infections qu’ils peuvent trouver en Pologne ou en URSS. Dans ce contexte, l’extermination des juifs devient une nécessité médicale, et la propagande fait passer cette idée à coups d’images dégradantes sur les conditions de vie dans les ghettos, oubliant bien sûr de préciser que ce sont les nazis eux-mêmes qui les ont créées.

 

Promesse d’un retour aux origines mythiques, le Reich (qui n’est plus défini comme IIIème à partir de 1938, mais comme éternel) peut se lire comme une eschatologie des temps modernes avec une prétention à la scientificité biologique. La force de son enracinement dans les têtes, comme le montre encore une série d’interviews d’Eichmann  réalisées en 1956-57, a tenu à sa capacité à recycler, en les recombinant et en les portant à incandescence, une série d’éléments préexistants et audibles pour les Allemands de l’époque. La leçon de ce livre, s’il y en a une, est la grande attention que l’on doit porter aux idées et aux stéréotypes que l’on peut entendre, parfois de façon banale. Ils peuvent ne pas être innocents.

Jean-Philippe Coullomb


mercredi 3 juillet 2019

ASSEMBLEE GENERALE DE L'APHG-LR le 22 juin dernier





L'APHG-LR a tenu son Assemblée Générale le 22 juin dernier au restaurant Chez Rose et Alain à Loupian, après avoir visité le site archéologique de la villa gallo-romaine. C'est donc dans un cadre agréable et une ambiance chaleureuse que cette réunion a pu se tenir.


Le président R. Vassakos a présenté d'abord le bilan de nos actions sur l'année : les conférences dans le cadre des Soirées d'Hérodote, organisées en partenariat avec Sortie-Ouest près de Béziers, rencontrent un succès certain. La qualité dudit partenariat est soulignée, avec la capacité par exemple à organiser une conférence supplémentaire au pied levé en janvier 2019. Le bilan est d'environ 500 personnes touchées lors de ces manifestations. Le programme de participation aux frais des membres de l'APHG-LR prêts à se déplacer pour assister à des manifestations lointaines est apprécié. La présence au salon du livre d'Histoire de Vendres a permis de nouer des contacts. Le blog reçoit environ un millier de visites par mois.


Le trésorier E. Flament présente ensuite le bilan financier, qui permet d'envisager l'avenir avec sérénité, et les perspectives pour l'année à venir sont réelles. Le programme des Soirées d'Hérodote est arrêté pour l'essentiel, avec une nouvelle liste de conférences d'ores et déjà programmées. La volonté d'élargir le champ d'action est évidente, et les projets ne manquent pas. L'APHG-LR se flatte d'accueillir des collègues de tous les horizons et de toutes les générations. Chacun peut y trouver sa place et la convivialité fait partie de ses missions. Le repas au restaurant, qui a permis des retrouvailles entre un enseignant et celle qui fut sa tutrice, le confirme amplement. On ne peut à ce propos que louer la qualité de l'accueil et du repas dont nous avons profité.


L'APHG-LR sera heureuse de vous retrouver à l'issue des congés d'été et elle souhaite pour tous, avec quelques jours d'avance pour celles et ceux qui sont de correction d'examens, d'excellentes vacances d'été 2019.




Merci à B. Péri pour les photos prises au restaurant. La photo ci-dessous provient de la page Facebook de "Chez Rose et Alain". A l'heure du déjeuner, on ne pouvait avoir une telle vue, mais l'angle est parfaitement exact, et on ne peut que recommander cette adresse.