Par Bruno Benoit [1]
Cher(e)s Collègues,
Une fois encore, n’en déplaise aux grincheux de toutes espèces, je vais tremper la plume de mon éditorial dans l’analyse sans concession de ce qui nous est annoncé, en provenance de la rue de Grenelle, pour les années à venir. L’APHG se refuse à être dans la critique systématique ; elle a su et sait reconnaître les réformes nécessaires, mais elle ne peut accepter que les professeurs d’Histoire et de Géographie ne soient dans un futur immédiat que des animateurs culturels ! Elle refuse que la Ministre puisse dire que la réforme se justifie parce que les élèves s’ennuient au collège. Nous vous invitons, Mme la Ministre, à venir très souvent dans nos classes et vous verrez que les classes d’Histoire et de Géographie sont des lieux de vie et non d’ennui !
Je vais donc placer mon éditorial sous le sceau de l’Extrême Vigilance en demandant le soutien de vous toutes et tous, cher(e)s collègues, car notre avenir en tant que professeur d’Histoire et de Géographie est bien en cause. Les médias et des sommités de la vie culturelle et politique montent au créneau, certes avec raison, pour s’élever contre la disparition des langues anciennes, de l’Allemand, voire des classes bi-langues ou encore européennes, mais personne, excepté l’APHG et quelques articles et interviews [2], ne s’émeuvent de ce que va devenir nos deux matières qui, est-il besoin de le rappeler, sont centrales dans l’acquisition de l’appartenance républicaine et d’une connaissance de territoires autres que le local où se situe l’établissement scolaire, c’est-à-dire deux matières constructrices de la personnalité citoyenne.
L’APHG se veut donc extrêmement vigilante, car ses membres sont des professeurs citoyens qui ont une mission, celle que la réussite à un concours national leur a donnée et ce, vis-à-vis des élèves qu’ils ont en charge, mission où sont associées approche scientifique et démarche pédagogique. L’APHG lutte pour une École de l’intelligence, de la tolérance, de l’ouverture sur les autres et sur le monde et non pour une École au rabais, créatrice d’inégalités et de discriminations.
Est-il nécessaire de rappeler, chers et chères collègues que l’APHG est VOTRE ASSOCIATION, qu’elle attend que vous fassiez remonter par notre site [3] vos propositions, vos commentaires, vos envies, vos expériences, vos colères. L’APHG vous représente et plus nous sommes nombreux, plus notre voix a de l’écho. Dites-le, faites le partager. [4] Je m’adresse à tous les responsables de notre association : organisez et continuez à organiser des journées de formation - comme celle qui vient d’avoir lieu à Paris le 28 mars 2015 organisée par le Bureau national sur la Laïcité [5] ou à St-Quentin début avril par trois Régionales [6] -, des réunions, des ateliers ; faites la promotion de l’AGORA d’Amiens en octobre 2016 [7] ; faites découvrir la Revue Historiens et Géographes… [8] bref soyez actifs, réactifs à l’actualité, présents dans la société civile et extrêmement vigilants sur le plan professionnel en cette fin d’année scolaire qui prépare déjà celle qui vient.
Un printemps de réforme pouvant cacher un hiver professionnel, il est parfois nécessaire de hausser le ton face au brouhaha médiatique et à la ritournelle réformatrice agaçante. Certains trouvent que mes éditos sont « durs à avaler » et que j’oriente trop mes propos vers une critique systématique des programmes, des réformes et des représentants officiels de l’Éducation nationale. En revanche, d’autres pensent que l’APHG et son président cautionnent les changements qui nous sont imposés et que nous vivons tous au quotidien dans nos classes. Précisons les choses qui sont moins binaires. La place d’une association professionnelle dans le paysage politique, syndical, administratif français est une place étroite. L’APHG a conquis cette place depuis plusieurs décennies par sa réflexion, son travail et ses propositions et c’est pour cela que les autorités la consulte, maisJAMAIS l’APHG n’a été à l’origine des programmes, cette fois encore cela été vérifié ! Donc, l’APHG EST LIBRE, CAR ELLE NE DOIT RENDRE DE COMPTES QU’À SES MEMBRES, DE DONNER SON AVIS SUR LA RÉFORME DES COLLÈGES ET SUR D’AUTRES POINTS.
Pourquoi parler d’extrême vigilance ?
• La Ministre a bien répondu à mon courrier (cf. le site de l’APHG [9]) sur l’Enseignement moral et civique (EMC) en laissant entendre que les professeurs d’Histoire et de Géographie sont les plus à même d’enseigner cette matière à partir de l’année prochaine en collège. J’en ai pris bonne note et vous aussi. Cependant, soyons extrêmement vigilants dans nos établissements car deux lanceurs d’alerte doivent nous rester à l’esprit :
- Les chefs d’établissement pour des raisons de variables d’ajustement d’emplois du temps peuvent très bien donner cet enseignement à d’autres collègues. À vous de vous faire entendre et de rappeler l’engagement de la Ministre.
- Le recteur de Nancy, dans un courrier du 9 mars 2015 adressé aux chefs d’établissement et aux IA, a rappelé les horaires de l’EMC de 1 h/semaine en école primaire et de ½ h/semaine en collège et lycée. Il précise que les professeurs d’Histoire et de Géographie ont vocation, au collège, à prendre en charge cet enseignement, pour l’année scolaire 2015-2016, mais rien n’est dit pour après et pour le lycée !!!! Il faudra être extrêmement vigilant dans les années à venir.
• Les collègues de lycées professionnels ont de quoi être extrêmement vigilants, puisque l’épreuve ponctuelle de Français et d’Histoire et Géographie est transformée en CCF (contrôle en cours de formation), transformation voulue par le Ministère de l’Éducation nationale, mais connue par les professeurs via les éditeurs ! [10] À quand la suppression des mêmes épreuves au Bac pro sachant que l’épreuve ponctuelle était une excellente préparation à l’examen du Bac pro ? Les motifs sont ici nullement pédagogiques et ne relèvent que de critères économiques !!! L’APHG ne voudrait pas que l’Éducation nationale qui n’a pas de prix pour l’avenir de la nation soit victime de son soi-disant coût.
• Venons-en au collège, objet de toutes les attentions ministérielles et du CSP. Si l’APHG est satisfaite d’un programme en Histoire où la chronologie semble respectée, c’est parce que depuis longtemps elle défend en Histoire la chronologie, seul moyen de donner au temps passé sa cohérence. L’APHG apprécie – à condition que l’Inspection, le chef d’établissement ou une Fédération de parents d’élèves ne viennent pas critiquer les choix faits – cette liberté donnée à l’enseignant, car depuis des lustres elle la réclamait pour tous les professeurs, citoyens responsables et compétents, s’ils ont été recrutés à l’issue d’un concours national.
De son côté, l’APHG n’est pas restée inerte et a réfléchi, depuis longtemps dans sa Commission Collège sur comment enseigner au mieux nos deux matières. C’est pourquoi elle se permet de se montrer extrêmement vigilante face à ce qui est proposé [11] dans la réforme des collèges :
1- L’APHG s’élève contre la répartition portant sur les parties dites obligatoires et les parties dites optionnelles en Histoire. Sans être partisan, il est évident que la répartition de modules donnés comme obligatoires et d’autres comme optionnels a de quoi laissé pantois les collègues. Vous êtes officiellement libres… de faire les modules obligatoires !!!! Le programme d’Histoire est présenté chronologiquement, mais avec d’énormes trous !!!! Quant à la géographie, qui pose moins de problèmes sensibles, il faut éviter que de belles idées deviennent des sujets rébarbatifs - alors là oui l’élève s’ennuie ! - à force d’être rabâchés et que des territoires soient oubliés au profit d’autres considérés comme dominants.
2- L’APHG a toujours défendu des programmes nationaux, des examens nationaux, des recrutements et des concours nationaux. Avec ce qui est proposé par la réforme, il y a des risques de voir à terme et ce, relativement rapidement, l’enseignement se régionaliser, surtout avec les nouvelles grandes régions rectorales. L’APHG défend, par républicanisme, l’égalité des territoires afin que l’École diminue, et non accentue,
les inégalités socio-spatiales.
les inégalités socio-spatiales.
3- L’APHG défend la dimension disciplinaire. Le Ministère ne peut pas proposer une réforme (elle mijote depuis trois ans) qui se veut ambitieuse et globale, si elle ne donne pas les moyens aux enseignants pour réussir cette réforme : moyens matériels, en horaire. Ne mettez pas en avant la modernité et la lutte contre l’ennui, quand le thème central est l’économie de moyens !!! Si toutes les matières, dont les nôtres, conservent leur attribution en heures, une partie (20% de celles-ci) est dévolue à des Enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI), au nom de « nouvelles approches pédagogiques » qui, en réalité, ne sont pas nouvelles sur le fond, mais réactualisées quant au libellé ! Sur 2 heures et demie, soit 150 minutes, 30 minutes sont consacrées aux EPI ; il reste donc deux heures (et encore !) d’enseignement disciplinaire. Certes, dans les EPI, les professeurs peuvent travailler avec des collègues en trouvant des terrains communs, mais ceux-ci n’ont pas fait vraiment leur preuve quand ils existent et, de plus, ils demandent de gros investissements de la part des collègues sans retour de la part du Ministère. Au-delà de cette remarque, nous n’avons rien contre cette approche pédagogique, vantée par le Ministère, car depuis belle lurette elle est pratiquée par les collègues, membres ou non de l’APHG.
4- Quant au cycle 3 - CM1, CM2 et 6e -, les pages 38 à 43 du projet de programme pour le cycle 3 sont parues le 9 avril 2015. [12]Certes, il y a bien les compétences indiquées, un programme signalé, mais rien n’est dit sur les réalités (réunion, équipes, horaires, formation) de cette recherche de « meilleure transition entre l’école primaire et le collège ».
Voilà ce que l’APHG réclame et propose
1- Il faut obtenir du Ministère que ce soit le professeur ayant reçu une formation universitaire initiale suffisante - à ce propos, il faut que le Capes redevienne un véritable concours associant à parts égales questionnements scientifiques et approches didactiques - et une formation continue financée enfin par le Ministère et pas seulement organisée par l’APHG - qui décide, face à son public, ce qui est la meilleure progression dans ce qui est proposé, en trouvant une démarche logique, sans faire des choix partisans ou personnels, afin d’offrir aux élèves une approche complète de la trame chronologique qui correspond au niveau de classe. Ce qui est valable pour l’histoire doit l’être pour la géographie. Ces deux matières sont globales, elles ne peuvent se permettre de subir des lacunes liées à des modules facultatifs. Ceux-ci n’ont pas lieu d’être.
2- L’année prochaine doivent être mises en place des formations dans les différentes académies pour que les professeurs soient les plus à mêmes de maîtriser ce qu’ils enseignent et qu’ils trouvent la réflexion pour éviter une surcharge de travail difficilement acceptable.
3- Que le Ministère précise le rôle exact des IPR et des IG dans leurs rapports avec le corps professoral devenu plus libre dans sa démarche.
4- Il est nécessaire qu’avant la fin de l’année scolaire 2016-2017, année de la première mise en chantier de la réforme et ce, avant la mise en œuvre des programmes en classe de Quatrième, un bilan sérieux et une évaluation grandeur nationale doivent être entrepris par le Ministère pour la classe de cinquième. De notre côté, l’APHG lancera une enquête, comme elle l’a fait régulièrement. La dernière en date étant celle organisée après les attentats de janvier 2015 que beaucoup (médias, hommes politiques) ont repris. [13]
• Enfin même à l’Université, il faut être extrêmement vigilant. Une affaire, au sens fort du terme, vient d’avoir lieu à l’Université Paris 8 Saint-Denis. Un étudiant, en fin de thèse et ayant été considéré comme digne de soutenir celle-ci, s’est vu refuser brutalement la soutenance, quelques jours avant la date retenue, par la direction de l’école doctorale, au motif que des expressions étaient jugées inappropriées et qu’elles auraient pu susciter de l’émoi sur le campus ! Le sujet était « Hollywood : le prêtre et le nabab. Les relations de la religion avec le cinéma américain de 1934 aux années 2000 ». [14] Nous avons manifesté massivement le 11 janvier pour la liberté d’expression [15] et là, dans une Université française haut-lieu du savoir et de cette liberté, on ajourne sine die une soutenance de thèse. Inadmissible, seul le jury de soutenance était qualifié pour apprécier ce travail.
On ne peut pas faire des réformes qui se voudraient consensuelles et qui se veulent ambitieuses avec de faibles moyens. Mesdames et Messieurs qui nous gouvernent, arrêtez de nous imposer des réformes que vous présentez comme novatrices et bonnes pour les élèves. Nous les professeurs, en particulier les professeurs d’Histoire et de Géographie, nous n’ennuyons pas nos élèves, nous sommes porteurs d’innovations pédagogiques en permanence, nous répondons à leurs attentes, mais, si défendre un enseignement disciplinaire avec des horaires décents est considéré comme archaïque, et bien nous assumons à l’APHG ce qualificatif. Comme tous les enfants de France n’ont pas les moyens d’aller dans des établissements prestigieux et payants, comme ils n’ont pas davantage les moyens d’avoir une bibliothèque familiale et comme ils ne bénéficient pas d’un environnement culturel riche, il faut continuer à dispenser à tous les enfants de nos établissements scolaires républicains des savoirs disciplinaires. Je refuse au nom de tous mes collègues de devenir un animateur culturel, je suis un professeur !
La société civile a tout intérêt à défendre l’Histoire et Géographie, car sans elle la République est nue, la citoyenneté orpheline et la lutte contre les discriminations sans effet.
Bruno BENOIT
Président de l’Association des Professeurs d’Histoire et de Géographie (APHG)
Professeur des universités à l’IEP de Lyon
Président de l’Association des Professeurs d’Histoire et de Géographie (APHG)
Professeur des universités à l’IEP de Lyon
Lyon, le 28 avril 2015
Tous droits réservés - Les services de la Rédaction de la revue Historiens & Géographes. Le 10 mai 2015.
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