Pierre RAZOUX, La guerre Iran-Irak, première guerre du Golfe, 1980-1988, Perrin, Paris 2013, 604 pages.
Très bon connaisseur des questions militaires du Proche-Orient, auteur d’une belle synthèse sur Tsahal, Pierre Razoux se penche ici sur le terrible conflit qui ensanglanta le Golfe Persique dans les années 1980. L’auteur s’appuie sur une documentation de première main à laquelle le chercheur n’a accès que depuis peu de temps. Il a en effet pu consulter aux Etats-Unis les enregistrements audio que Saddam Hussein faisait réaliser systématiquement dans ses palais. L’homme, sachant ne pas être un grand intellectuel, pensait ainsi laisser des traces pour l’éternité tout en surveillant ses subordonnés. C’est de ces enregistrements que vinrent les preuves utilisées pour le condamner à mort lors de son procès, en particulier à propos du gazage des Kurdes à Halabja en 1988. Razoux a complété ces informations avec de nombreux entretiens avec divers responsables civils et militaires alors en poste en Irak ou dans les pays occidentaux. Il a également consulté la littérature ouverte et la cinématographie iranienne sur le sujet. Il en résulte un ouvrage au plan globalement chronologique avec de nombreuses notes et des annexes fournies, écrit dans un style simple à défaut d’être agréable. L’éditeur a fait l’effort, bien utile, d’insérer régulièrement des cartes simplifiées.
Que retenir de cet ouvrage ? D’abord, la légèreté avec laquelle Saddam Hussein déclenche cette guerre, qu’il est sur le point de perdre en 1982, puis l’entêtement dément de mollahs iraniens qui s’acharnent à prolonger le conflit avec des exigences irréalistes qui ne cachent même pas leur volonté de l’instrumentaliser pour renforcer leur propre pouvoir. En 1988, il faut une conjonction entre une défaite militaire patente face aux Irakiens, une absence de ressources supplémentaires (la baisse des prix du pétrole a été voulue et organisée par les Américains et les Saoudiens pour mettre à genoux l’Iran et l’URSS) et une intervention américaine dans le Golfe pour qu’ils acceptent la fin des combats. Entre temps, on a un concentré d’horreurs d’où personne ne sort indemne. Les dirigeants des deux camps éliminent leurs propres militaires, toujours suspects. Les Irakiens testent même leurs armes chimiques sur leurs propres soldats avant de s’en servir à grande échelle sur les Iraniens, tandis qu’ils n’hésitent pas à envoyer des décharges électriques de 200.000 volts dans les marais de la presqu’île de Fao à la fin de la guerre. De leur côté, les Iraniens sacrifient de plus en plus régulièrement des vagues d’adolescents de 12 ans destinés à faire sauter les mines en leur remettant simplement une clé en plastique pour symboliser leur accession au paradis. Ils utilisent sciemment le terrorisme au Liban ou en France. Les pays du monde entier arment les belligérants avec un cynisme à peine croyable, à l’image de la Chine, du Brésil ou de l’Allemagne. Seul surnage dans cet enfer la capacité des Iraniens à sublimer l’épreuve dans des œuvres de fiction élaborées d’une grande profondeur humaine.
A un bilan humain hallucinant (700.000 morts environ), s’ajoute le maintien au pouvoir de régimes criminels. Si l’Irak a connu et connaît depuis d’autres guerres, la société iranienne reste très profondément marquée par cette épreuve sans laquelle on ne comprend pas l’acharnement mis à obtenir la bombe atomique.
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