Lecture d'été - 2019 (4) : Propagande, la manipulation de masse dans le monde contemporain, de David COLON
David COLON, Propagande, la manipulation de masse dans le monde contemporain, Belin, Paris 2019, 431 pages.
Les auteurs sont-ils
toujours consultés lorsque leur éditeur doit faire le choix d’un visuel pour
une couverture ? A lire cet ouvrage, on serait tenté de répondre par la
négative. En effet, celle-ci reprend une image de type mussolinien, avec le
mot « Propagande » en blanc qui se détache dessus, renvoyant à
l’assimilation habituelle entre régimes totalitaires et propagande. Or David
Colon explique dès son introduction que c’est un réflexe issu d’un contexte de
guerre froide dans les années 1970. Son objet est à la fois plus large et plus
actuel : il veut présenter ce qu’est la manipulation des esprits dans le
monde d’aujourd’hui. On est donc dans un ouvrage d’actualité qui utilise
largement des travaux de spécialistes variés s’appuyant sur des exemples allant
du XXème siècle jusqu’à nos jours. Il part des premiers experts en
communication de masse, définissant un
cadre intellectuel, puis il
s’attache aux usages variés de cette propagande, avant de suivre par une série
de courts chapitres souvent centrés sur un medium particulier, puis de terminer
sur les questions liées à Internet et son usage. Disons-le tout de suite,
l’ensemble donne parfois la sensation de survoler chacun des nombreux thèmes
abordés, et la mesure des effets n’est que très brièvement évoquée en
conclusion. La multiplication des domaines étudiés, des références et des
exemples peut finir par produire un effet anxiogène car elle place l’individu
au milieu d’un maelström de manipulations contradictoires. La bataille pour
« le temps de cerveau disponible », le notre, fait décidément rage.
Et à vrai dire, on se demande parfois s’il en vaut la peine.
Que peut-on retenir
malgré tout de cet ouvrage ? D’abord, le lien très fort entre la
communication, l’étude des comportements humains et la publicité, qui apparaît
aux Etats-Unis dès les premières années du XXème siècle. On apprend ainsi que
Microsoft constitue le deuxième plus important employeur d’anthropologues aux
Etats-Unis derrière le gouvernement fédéral, tandis que l’industrie du tabac a
fait preuve d’une réelle expertise pour vendre ses productions en parant leur
consommation du goût de la liberté. C’est la Première Guerre Mondiale qui voit
la création d’une propagande politique de masse, et si les belligérants
démobilisent leurs armées une fois la paix revenue, ils gardent les services
créés à cette occasion (pensons au Service Cinématographique et Photographique
des Armées créé en 1915 dans le cas français, par exemple). Si la Deuxième
Guerre Mondiale reste une référence pour les manœuvres d’intoxication de
l’adversaire comme l’opération Fortitude
pour préparer le débarquement allié en Normandie, la Guerre froide est un
moment essentiel car le contrôle des populations était au fond l’enjeu
essentiel de la lutte. C’est le KGB qui est à l’origine de la légende selon
laquelle le SIDA viendrait d’un laboratoire américain d’armes biologiques,
tandis que la CIA a soutenu l’art abstrait pour lutter contre le réalisme
socialiste. Et bien sûr l’usine à rêves hollywoodienne a constamment promu l’American Way of Life. On apprend
incidemment (en tout cas l’auteur de ces lignes) que la célèbre affiche
consacrée à la Révolution Nationale avec une maison France en ruine et une
autre redressée par la politique du maréchal Pétain n’a jamais été diffusée car
rappelant trop les dissensions politiques.
C’est finalement la
dernière partie, consacrée à la « post-vérité » qui reste la plus
intéressante, même si elle n’apporte pas de grande révélation. Elle néglige aussi le fait que tout un chacun
peut devenir très consciemment le propagandiste zélé de telle ou telle cause.
Elle part de Marc Bloch, qui observait que les rumeurs n’avaient prise que sur
des esprits prêts à les croire. Dans ce cadre, la force des théories du complot
est d’offrir une clé de compréhension du monde à un public qui n’en a aucune
avec l’effondrement des grands récits religieux et nationaux. Cette clé se
transforme ensuite en outil de mobilisation pour une jeunesse en manque de
repères, nourrie d’une méfiance systématique envers toute parole sensée et
argumentée. On sourit en lisant que certains sites et mouvements
djihadistes condamnent le complotisme car il aboutit à nier l’efficacité de Ben
Laden. On visite les « fermes à trolls » russes ou chinoises
qui inondent les réseaux sociaux occidentaux de messages russophiles ou
sinophiles. Enfin, cette partie pose la question de l’usage que chacun fait
d’Internet : c’est d’abord et avant tout un moyen d’afficher ce que l’on
est et ce que l’on pense en croyant que cela peut avoir un effet. Et en faisant
ceci, on ne fait surtout que donner des renseignements sur soi-même. Loin de
pouvoir influencer la marche du monde, nos posts et nos publications ne servent
qu’à donner des armes à ceux qui souhaitent nous utiliser.
Sans révolutionner la
pensée contemporaine, l’ouvrage de D. Colon offre donc quelques pistes de
réflexion que d’autres lectures permettront de creuser.
Jean-Philippe Coullomb
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