Compte-rendu de conférence "Robert HERZ ou la trajectoire d'un officier pendant la guerre 14-18 : un cas de radicalisation patriotique", par les CPGE du lycée Henri IV
La régionale de l'APHG est heureuse de publier le compte-rendu d'une conférence tenue, à l'invitation de notre collègue Laurent Soria, devant les élèves de CPGE du lycée Henri IV de Béziers par M. Nicolas MARIOT. Rappelons le fonctionnement de ces interventions : elles sont dédoublées, avec une présentation à la médiathèque de Béziers le vendredi soir, suivie par une autre le lendemain matin devant les CPGE dans les murs du lycée. Il a été rédigé par deux élèves, Alexandre ANGLES et Valentin VALETTE. Nous ne pouvons que les féliciter pour l'excellente facture de leur texte, réalisé alors que leur charge de travail est déjà fort lourde.
"L’enjeu de
cette conférence donnée le Samedi 19 octobre 2019 au lycée Henri IV de Béziers,
et de l’ouvrage intitulé Histoire d’un sacrifice : Robert, Alice et la
guerre de Nicolas Mariot, est de comprendre le poids du consentement d’un
intellectuel comme Robert Hertz pendant la Grande Guerre, et si se consentement
peut être généralisé au reste des soldats. Pour cet exposé, Nicolas Mariot, à la
lumière du parcours de Robert Hertz, nous invite à nous interroger sur un thème
faisant écho à l’actualité : la radicalisation et ses ressorts familiaux.
Nicolas Mariot étudie une trajectoire individuelle,
celle d'un normalien d’extraction bourgeoise, Robert Hertz, fils spirituel de
Durkheim. D’un point de vue méthodologique, son enquête s’appuie sur sa
correspondance, ainsi que sur des photographies qui permettent de saisir
l’atmosphère particulière qui entoure l’engagement de Robert Hertz dans la
guerre et qui le conduit à s’impliquer de façon toujours plus radicale dans
celle-ci.
La
radicalisation de Robert Hertz semble être à l’image de ce paradoxe idéologique
qui se dessine à la veille du conflit : les socialistes sont tiraillés entre
les principes internationalistes, censés pousser vers le combat pour la paix
des Hommes qui partageaient une position identique dans les rapports sociaux de
production (le prolétariat international, qui souffrait de l’ensauvagement d’un
capitalisme profondément inégalitaire) et ce nationalisme exalté, terreau
sanglant de toutes les violences qui ne rapprochent les hommes que par la
souffrance qu’elles génèrent. Robert Hertz s’engage dans la guerre en pensant
le conflit à la lumière des canons de Valmy : « jamais je ne me suis senti si
près des socialistes » (Alice à Robert, 22/09/1914) ; « la chaîne se renoue au
bout de 120 ans » (Robert à Alice, 15/09/1914). C’est en donnant à celui qui
allait être le premier conflit mondial cette dimension de combat pour la
justice et la libération sociales que le normalien imprégné des idéaux
républicains s’en va au front avec détermination : « je sens comme toi qu’il
vaut mieux y aller carrément » (Alice à Robert, 22/08/1914). Robert Hertz se
voit comme un acteur de l’histoire en marche, portant sur ses épaules l’honneur
de sa patrie mais également de sa famille. En effet, il est le seul de la
fratrie à monter au front, ses deux beaux-frères Mantoux et Gorodiche faisant
figure d’embusqués, de même que son frère Jacques, tous trois médecins
militaires à l’arrière. La trajectoire radicale de Robert Hertz s’explique
également par le soutien irraisonnable de sa femme Alice, qui, isolée avec le
reste de la famille dans le Finistère, conforte les décisions
jusqu’au-boutistes de son mari et le rassure sur la nécessité de l’ultime
sacrifice : « Il faut, en ce moment, mourir pour vivre » (Alice à Robert,
15/10/1914).
Cependant, il est important de préciser que la
radicalisation de Robert Hertz n’est pas linéaire, elle est clairsemée de
doutes : « Aimée, m’approuves-tu, me comprends-tu ? Parfois, je me dis que
c’est mal d’aspirer ainsi à quelque chose qui est contraire à mon devoir de
vivre pour vous » (Robert à « Chère femme bien-aimée », 26/03/1915). Ne se
sentant pas « parmi les heureux, les élus qui en ce moment sont engagés dans
l’action et donnent leur vie » (31/08/1914), Robert Hertz quitte finalement le
44ème Régiment d’Infanterie Territorial, préservé des combats, pour rejoindre
le 330ème Régiment d’Infanterie. Le normalien est à la fois complice et
victime de son engagement qui ne permet plus aucun retour en arrière, et le voilà
piégé et condamné par son jusqu’au-boutisme. Alice émet également des doutes
mais renonce à les partager avec son mari, ce qui le conforte dans cette
trajectoire sacrificielle. Il est fauché par les balles le 13 avril 1915, lors
de sa première offensive.
Ce
consentement total à la guerre est éminemment contextualisé, il s’explique en
partie par l’origine juive de Robert Hertz qui entend prouver qu’il est
français par le sang versé, lui que l’extrême droite considère uniquement comme
« Français de papiers » à cause de l’origine juive-alsacienne de la famille. Il
adhère « de tout cœur » aux idées de Barrès, souhaitant que « la France soit
restaurée dans sa pureté spirituelle et morale […] par le sacrifice sanglant de
ses enfants » (Lettre à Alice, 22/03/1915). Au cours de sa radicalisation il se
détourne de la lecture du New Statesman, journal qui selon lui est trop
modéré dans son soutien à la guerre, et prend l’habitude de lire les éditoriaux
de Barrès, le rossignol des tranchées, publiés dans L’Echo de Paris.
Dans le même temps il s’éloigne de Durkheim qui incarne à ses yeux le « pas
assez ». Durkheim est bien conscient de cette dérive puisque dans une lettre
adressée à Mauss et datée du 14/12/1915 il déclare que Hertz avait « des
développements sur la régénération de la France qui [sentaient] le Barrès », il
parlait « de Barrès avec des réserves de droit, mais par endroit avec sympathie
».
Nicolas Mariot dans cet ouvrage nous propose de
dépasser la thèse de Stéphane Audouin-Rouzeau qui explique la violence de ce
conflit par le consentement unanime des soldats et le développement d’une «
culture de guerre ».
Pour
Nicolas Mariot, la culture de guerre est attestée dans les seuls écrits
d’intellectuels écrivains dont la portée générale est à relativiser. Les
différentes trajectoires sociales des soldats doivent être prises en compte
dans le rapport des Hommes avec la guerre. Si Robert Hertz nous semble être le
parfait exemple du consentement, sa correspondance témoigne elle-même de la
dissonance qui règne entre son expérience guerrière et celle de ses
subordonnés, qui s’exclament : « Il est incroyable, cet Hertz, il ne trouve pas
le temps long, on dirait que c’est le plus beau moment de sa vie »
(25/09/1914). En outre, Hertz ressent lui-même que la position des autres
soldats face à la guerre est radicalement différente de la sienne : « Chiffert,
homme de devoir mais technicien pur, ingénieur positif, ne voyait dans le
guerre qu’une corvée maudite, une perte effroyable de vies et de biens et de
temps qui aurait sans doute pu être évitée » (Robert sur son compagnon Chiffert
du 44ème RIT, 16/12/1914).
Ainsi, ces remarques appuient la thèse de Nicolas
Mariot selon laquelle les soldats ordinaires ont été nettement moins enclins à
prendre des risques et à s’exposer au nom de la patrie que certains
intellectuels, comme Robert Hertz, dont le surinvestissement est dû à une
adhésion zélée à la liturgie républicaine et à la spécificité de son parcours.
D’un point de vue méthodologique cette conférence nous invite à penser la
validité de la généralisation du cas particulier de Robert Hertz. Mais cette
question peut s’appliquer à l’ensemble des sciences qui appuient leurs
démonstrations sur des observations empiriques."
Nicolas MARIOT à la médiathèque de Béziers, le 18 octobre.
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